jeudi 16 mai 2013

Fais du bien à Bertrand...

Mais pourquoi donc se fatiguer à écrire aux curés rouges ? On coupe pourtant des arbres pour faire du papier à lettre et on fait tourner des centrales nucléaires pour envoyer des mails, il s'agirait donc d'être économe. C'est comme envoyer une invitation pour une fête de famille à une vieille tatie grincheuse dont on sait pertinemment qu'elle ne viendra pas; mais on sait aussi qu'elle va se vexer si on ne lui écrit pas.

Le Front de Gauche écrit à Lutte Ouvrière pour l'inviter à se joindre à la manifestation du 5 mai. Le Front de Gauche est poli, le Front de Gauche a de l'empathie pour les personnes seules, et il pense que ça leur ferait du bien de voir du monde, un dimanche après-midi en plein air. L'humain d'abord.

Voici ce que lui répond la vieille bourrique :

AUX ORGANISATIONS DU FRONT DE GAUCHE

Nous vous remercions de votre invitation pour la réunion du mardi 16 avril 2013 à l'AGECA, mais nous n'avons pas l'intention d'y participer. Pas plus que nous n'avons l'intention de nous associer à votre appel pour ce que vous nommez "une grande marche citoyenne pour la 6e République" que vous comptez organiser le 5 mai 2013 à Paris.

Nous ne sommes, en effet, pas du tout d'accord ni avec les objectifs de cette manifestation, ni avec ce qui motive votre appel.

Vous faites appel à ce "peuple de gauche qui a permis que le président de la République soit élu" pour lui rappeler "qu'il ne l'a pas été pour faire cette politique". Nous ne faisons pas partie de ceux qui ont participé à l'élection de François Hollande car nous n'avons pas eu la naïveté de penser qu'il ferait en faveur des travailleurs même le peu qu'il avait promis.

Nous ne partageons ni votre analyse parlant de "confusions qui existent entre les logiques financières dominantes et la conduite des affaires de l'État", ni la conclusion à laquelle vous aboutissez, à savoir qu'une "6e République" constituerait "une issue positive" en redéfinissant "les règles sociales et démocratiques" afin que "le peuple reprenne le pouvoir".

Contrairement à ce que vous écrivez, il ne s'agit pas de "confusions entre les logiques financières et la conduite des affaires de l'État". Il s'agit du fait que cet État, avec son énorme appareil, son armada de fonctionnaires, est tout entier au service de la classe capitaliste et lui est totalement subordonné. 

Prétendre qu'il suffit d'un défilé pour mettre fin à cette réalité est, au mieux, de la naïveté, impardonnable de la part de formations politiques qui prétendent incarner une perspective pour que "le peuple reprenne le pouvoir" (au fait, à quel moment l'a-t-il eu ?). Naïveté ou volonté de semer des illusions, vous préparez une future tromperie, vous qui avez dépeint la manifestation à la Bastille en 2012 comme un acte hautement révolutionnaire alors que son seul résultat a été de faire élire Hollande avec la caution de ceux qui prétendaient incarner une politique plus à gauche.

N'ayant pas l'intention de cautionner de quelque manière que ce soit une prochaine tromperie du même genre, nous déclinons votre invitation à la réunion du 16 avril 2013.
LUTTE OUVRIERE

En sept paragraphes, le Front de Gauche est traité trois fois de naïf et trois fois de menteur : six high kick dans sa gueule au Front de Gauche !

Passée une petite leçon marxiste sur le capitalisme et l’État bourgeois, LO se lance dans les procès d'intention et prend ses fantasmes pour des réalités. Y a t-il un dirigeant du Front de Gauche qui a dit : '' il suffira d'un défilé pour mettre fin à l’État capitaliste'' ou encore : '' la manifestation à la Bastille en 2012 était un acte acte hautement révolutionnaire'' ? Dans l'imagination de LO, oui.

Avec la même mauvaise foi, on pourrait dire que Lutte Ouvrière considère qu'il y a trop de fonctionnaires en France (cf :''son armada de fonctionnaires...) ou que la mention de ''l'énorme appareil'' de l’État est l'expression psychanalytique on ne peut plus claire d'une frustration phallique. On joue aux cons mais c'est eux qui ont commencé.

Le NPA, tout en ayant participé à la manif, reprend un peu cette démarche : charger au maximum le Front de Gauche pour se trouver des différences qui mettront en valeur leur hymen révolutionnaire immaculée. Ainsi on a pu lire sur divers forums que la manif du 5 mai n'était pas internationaliste et qu'on a entendu aucun slogan anti-OTAN. En effet... d'ailleurs on a pas entendu non plus de slogan contre la torture animale ou contre la corrida, c'est vous dire si les militants du Front de Gauche sont vraiment des barbares !

De toute façon sous le socialisme il n'y aura plus de chagrin d'amour et le nucléaire sera propre. Pourquoi se faire chier alors avec des revendications intermédiaires ?

En terme de naïveté voici une question pour conclure : pourquoi ne pas s'en tenir aux faits ? Il y aurait déjà moult critiques à faire. Pourquoi systématiquement tomber dans le procès d'intention ?

Question subsidiaire : LO a-t-elle gardé la boite de chocolats envoyée avec le courrier ?


vendredi 10 mai 2013

Cimourdain

Fidèle lecteur de notre blog, un jeune auteur nous a fait la gentillesse de nous envoyer un extrait d'un de ses ouvrages où il est question à sa manière de curé rouge. La ressemblance avec notre étude est frappante.  Bienvenue donc à Victor Hugo

Extrait de Quatrevingt-treize, deuxième partie, livre premier, chapitre 2 :

Cimourdain était une conscience pure, mais sombre. Il avait en lui l'absolu. Il avait été prêtre, ce qui est grave. L'homme peut, comme le ciel, avoir une sérénité noire; il suffit que quelque chose fasse en lui la nuit. La prêtrise avait fait la nuit dans Cimourdain. Qui a été prêtre l'est.

Ce qui fait la nuit en nous peut laisser en nous les étoiles. Cimourdain était plein de vertus et de vérités, mais qui brillaient dans les ténèbres.

Son histoire était courte à faire. Il avait été curé de village et précepteur dans une grande maison; puis un petit héritage lui était venu, et il s'était fait libre.

C'était par-dessus tout un opiniâtre. Il se servait de la méditation comme on se sert d'une tenaille; il ne se croyait le droit de quitter une idée que lorsqu'il était arrivé au bout; il pensait avec acharnement. Il savait toutes les langues de l'Europe et un peu les autres; cet homme étudiait sans cesse, ce qui l'aidait à porter sa chasteté, mais rien de plus dangereux qu'un tel refoulement.

Prêtre, il avait, par orgueil, hasard ou hauteur d'âme, observé ses vœux; mais il n'avait pu garder sa croyance. La science avait démoli sa foi; le dogme s'était évanoui en lui. Alors, s'examinant, il s'était senti comme mutilé, et, ne pouvant se défaire prêtre, il avait travaillé à se refaire homme, mais d'une façon austère; on lui avait ôté la famille, il avait adopté la patrie; on lui avait refusé une femme, il avait épousé l'humanité. Cette plénitude énorme, au fond, c'est le vide.

Ses parents, paysans, en le faisant prêtre, avaient voulu le faire sortir du peuple; il était rentré dans le peuple.

Et il y était rentré passionnément. Il regardait les souffrants avec une tendresse redoutable. De prêtre il était devenu philosophe, et de philosophe athlète. Louis XV vivait encore que déjà Cimourdain se sentait vaguement républicain. De quelle république ? De la république de Platon peut-être, et peut-être de la république de Dracon.

Défense lui étant faite d'aimer, il s'était mis à haïr. Il haïssait les mensonges, la monarchie, la théocratie, son habit de prêtre; il haïssait le présent, et il appelait à grand cris l'avenir; il le pressentait, il l'entrevoyait d'avance, il le devinait effrayant et magnifique; il comprenait, pour le dénoûment de la lamentable misère humaine, quelque chose comme un vengeur qui serait un libérateur. Il adorait de loin la catastrophe.

En 1789, cette catastrophe était arrivée, et l'avait trouvé prêt. Cimourdain s'était jeté dans ce vaste renouvellement humain avec logique, c'est-à-dire, pour un esprit de sa trempe, inexorablement; la logique ne s'attendrit pas. […] Il avait vu se lever la Révolution; il n'était pas homme à avoir peur de cette géante; loin de là, cette croissance de tout l'avait vivifié; et quoique déjà presque vieux – il avait cinquante ans, - et un prêtre est plus vite vieux qu'un autre homme, il s'était mis à croître, lui aussi. […]

Cimourdain était de ces hommes qui ont en eux une voix, et qui l'écoutent. Ces hommes-là semblent distraits; point; ils sont attentifs.

Cimourdain savait tout et ignorait tout. Il savait tout de la science et ignorait tout de la vie. De là sa rigidité. Il avait les yeux bandés comme la Thémis d'Homère. Il avait la certitude aveugle de la flèche qui ne voit que le but et qui y va. En révolution rien de redoutable comme la ligne droite. Cimourdain allait devant lui, fatal.

Cimourdain croyait que, dans les genèses sociales, le point extrême est le terrain solide; erreur propre aux esprits qui remplacent la raison par la logique. Il dépassait la Convention; il dépassait la Commune; il était de l'Évêché.

La réunion, dite l'Évêché, parce qu'elle tenait ses séances dans une salle du vieux palais épiscopale, était plutôt une complication d'hommes qu'une réunion. […] Près de l'Évêché la Convention était froide et la Commune était tiède. L'Évêché était une de ces formations révolutionnaires pareilles aux formations volcaniques; l'Évêché contenait de tout, de l'ignorance, de la bêtise, de la probité, de l'héroïsme, de la colère et de la police […] Il y avait là des hommes dignes de Sparte et des hommes dignes du bagne. La plupart était forcenés et honnêtes […]

Cimourdain avait, dans ces temps et dans ces groupes tragiques, la puissance des inexorables. C'était un impeccable qui se croit infaillible et glaciale. Il était l'effrayant homme juste.

Pas de milieu pour un prêtre dans la révolution. Un prêtre ne pouvait se donner à la prodigieuse aventure flagrante que pour des motifs les plus bas ou les plus hauts; il fallait qu'il fût infâme ou qu'il fût sublime. Cimourdain était sublime; mais sublime dans l'isolement; sublime dans un entourage de précipices. Les hautes montagnes ont cette virginité sinistre. […]

Tel était Cimourdain.

Personne aujourd'hui ne sait son nom. L'histoire a de ces inconnus terribles.