dimanche 18 janvier 2015

«Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage »

 Une rue passante, un jour de marché, dans une ville quelconque. Un groupe de militants de gauche distribue un tract. Léandre, petit-anarchiste-casse-couilles-pour-vieux, est de ceux-là.

Léandre : contre la politique austéritaire du gouvernement social-traître à la solde du grand patronat, prenez le tract du Nouveau Parti de Lutte Ouvrière Anticapitaliste de Gauche !

Une passante fait un pas de côté et regarde ostensiblement ailleurs.

Léandre : eh toi j'tai vu ! Vas-y fait pas ta pute, prend mon tract ! Si le peuple est uni on peut gagner. Sois pas un mouton ! P'tain elle m'écoute même pas ! C'est ça dégage, consomme et tais-toi, pétasse !

Léandre rumine encore quelques instants puis reprend sa distribution.

Léandre : contre la politique anti-ouvrière du gouvernement et contre la collaboration de classe des grandes centrales syndicales, demandez le tract de la vraie gauche vraiment révolutionnaire !

Un couple s'approche et tend la main pour prendre un tract.

Léandre : eh ben qu'est-ce qu'il leur arrive aux bobos ? Vous vous occupez de politique maintenant ? C'est à la mode ou quoi ? Faites pas semblant de vous intéresser à l'anticapitalisme alors que vos fringues sont fabriquées en Chine par des enfants qu'ont même pas le droit de se syndiquer. Ça suffit l'hypocrisie ! Allez, barrez-vous les snobs, vous m'dégouttez !


Ceci est une fiction. Bien entendu, dans la vraie vie, aucun militant n'aurait l'idée de se comporter comme ça en face des gens...

Alors pourquoi, nom de dieu de bordel de merde, certains de nos camarades s'autorisent-ils ces postures méprisantes sur les réseaux sociaux ? Depuis les drames de la semaine dernière, entre les « blaireaux » qui n'achètent pas Charlie et les « moutons » qui l'achètent, en rajoutant les « charlots » qui vont aux rassemblements, peu de gens trouvent grâce aux yeux des curés rouges.

Que l'on s'oppose à l'unité nationale, que l'on refuse de participer aux rassemblements en compagnie de la brochette de dictateurs et autres fous-furieux qui entouraient Hollande, que l'on ne partage pas la ligne droitière de Charlie Hebdo, tout cela est parfaitement honorable et s'explique politiquement. Mais rien ne justifie l'arrogance de nombreux messages ni les insultes à l'égard des personnes qui ont fait un autre choix.

Les événements exceptionnels produisent des réactions exceptionnelles. Certes l'émotion ne devrait pas l'emporter sur la réflexion, mais on contrôle parfois mal ses émotions, c'est humain. Nombreux sont ceux qui, dans les premiers jours, ont privilégié l'émotion, la tristesse en l’occurrence, et ont choisi de se recueillir avec leurs proches ou avec des anonymes. Ils ont fait une pause, soit dans leurs combats politiques soit leurs routines apolitiques. Ils n'ont pas à se faire traiter de  « cons, de moutons, de bobos se découvrant une soudaine passion pour le dessin » et autres amabilités que j'ai pu lire sur Facebook. Je pars du postulat que tous ces gens sont sincèrement touchés.

Même chose pour la presse. On devrait tous se féliciter que les ventes de journaux augmentent de façon exponentielle (pas seulement pour Charlie). C'est plutôt sain de vouloir approfondir ses connaissances à propos d'un événement. Eh bien non, Curé Rouge est obligé de faire la queue à la maison de la presse et cela le contrarie. Il évacue son aigreur par une nouvelle salve de commentaires et de dessins méprisants. Les nouveaux lecteurs seraient des illettrés ne sachant pas ouvrir un journal ou des veaux suivant un effet de mode.

Ce genre de comportements fait plus de tord que de bien à la gauche. Si ces militants de gauche détestent autant le peuple, pourquoi militent-ils ? Ne doit-on pas essayer de comprendre nos contemporains ? Ne doit-on pas avoir un tant soit peu d'empathie même pour ceux qui ne nous ressemblent pas ?

Et dire que ce blog est sensé être fermé !

Pourtant ce ne sont pas les sources d'inspiration qui manquent. Il y a encore beaucoup de monde frappant à la porte du Fight Club anarcho-droitier pour se faire taper dessus. Nombreux sont ceux qui parasitent notre militantisme en se croyant supérieur à la plèbe alors qu'ils n'ont que des névroses différentes de celles du commun.

Tapons donc encore et encore sur les curés rouges et les aristocrates de gauche, vingt fois sur le métier remettons notre ouvrage (Boileau).




J'avais pourtant pas que ça à foutre...



dimanche 11 janvier 2015

Les années de plomb

Dans les articles scénarisés de ce prodigieux blog, un personnage apparaît parfois portant le pseudo de « Gros Bébert ». Comme les autres, c'est une caricature d'un des travers de quelques personnes de gauche. Gros Bébert est inspiré de rencontres que j'ai pu faire depuis que je milite. C'est le personnage qui surenchérit son radicalisme révolutionnaire pour justifier son inaction due en réalité à sa paresse ou sa couardise. L'action qu'on lui propose, pétition, manif ou grève, n'est jamais assez radicale pour lui. Il nous fera la démonstration que nos méthodes de luttes sont dépassées et inefficaces. Il invoquera sa pureté révolutionnaire et refusera de la voir corrompue par la proximité avec « les gens qui sont cons ». Mes conversations avec les Gros Bébert se terminent invariablement de la même façon. Malgré son refus d'agir, il tient à nous rassurer sur l'infaillibilité de son engagement et conclut sa rhétorique d'une phrase synonyme à celle-ci :  « Mais ne vous inquiétez pas, le jour de la révolution je serai en première ligne !»

Bien sûr aucun d'entre-vous, honorables lecteurs, n'est un Gros Bébert mais je suis sûr que vous en avez tous croisé au moins un un jour. Il serait alors temps d'avoir le plaisir de leur annoncer que « le jour de la révolution » est arrivé.

Sauf que ce n'est pas la nôtre.

Doucement mais surement, nous nous installons dans de nouvelles années de plomb. Les tabous, en paroles puis en actes, se brisent les uns après les autres. Trois camps s'affrontent : les conservateurs qui cherchent à maintenir le système actuel en l'état ; les réactionnaires qui combattent une partie de ce système mais pour imposer un modèle autoritaire et les progressistes qui tentent, bon an mal an, de défendre une alternative plus humaine.

Les luttes entre conservateurs et réactionnaires tiennent le haut de l'affiche mais avez-vous remarqué que ce sont les progressistes qui meurent ? Les soixante-neuf jeunes sociaux-démocrates de l'ile d'Utoya en Norvège; le rappeur Killah-P en Grèce; Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en Tunisie; Clément Méric, Rémi Fraysse et maintenant la rédaction de Charlie Hebdo en France.

Les névrosés d'Allah sont les idiots utiles des conservateurs et des réactionnaires. C'est un prétexte en or pour redonner quelques tours de verrous aux libertés et remettre au goût du jour des idées fascistes, c'est ça qui est fondamentalement inquiétant. La haine de la démocratie est la valeur montante de la contestation. Les progressistes sont sommés de se positionner sur des questions fixées par les conservateurs et les réactionnaires. La bataille culturelle est à l'avantage de ces derniers.

Ambiance plombante n'est-ce pas ?

C'est donc cette référence aux années de plomb qui me vient à l'esprit. Celles qu'a connu par exemple l'Italie dans les années 70-80, quand la mafia et les fascistes s'entendaient pour butter du gauchiste qui ne se laissait pas faire tandis que les gouvernements successifs démantelaient toutes les libertés individuelles en prétendant les défendre. C'est ainsi, à mon humble avis, que je verrai bien notre futur immédiat en France.

Que faire alors ?

Certainement pas désespérer, ce n'est pas le genre de la maison. Anticipons le pire et espérons le meilleur. Et pour anticiper le pire rien de tel qu'un simulateur de vol. C'est ainsi que parlait je ne sais plus quel intello à propos des livres. Les livres, et notamment les romans, sont des simulateurs de situations que l'on n'a pas forcément vécues. Repenchons-nous sur des périodes historiques craignos. Comment vivaient les gens, et surtout les militants, dans des époques où tout espoir semblait vain. Que pensait-on durant les années de plomb en Italie ? Comment vivait-on quand il était minuit dans le siècle, sous le stalinisme, sous l'occupation nazie ? Qu'est-ce qui faisait tenir le poilu au fond de sa tranchée ? Quels sentiments ressent-on sous le maccarthysme ou sous l'apartheid ?

Il ne s'agit pas de dire « vous voyez, il y a toujours pire », mais bien de prendre du recul, d'anticiper sereinement des événements exceptionnels et d'avoir déjà quelques idées possibles de réactions. En vrac voici quelques titres qui peuvent nous aider : L'Orchestre Rouge de Gilles Perrault ; Vie et Destin de Vassili Grosman ; La septième croix d'Anna Sehgers ; Une saison blanche et sèche d'André Brink ; Mémoire d'un rouge d'Howard Fast … ça marche aussi avec des films.

Il est donc temps pour tous les Gros Bébert de se décider à se bouger ou de se taire à jamais... mais on a quand même besoin de monde en ce moment.

Pour le reste, ici on change rien. Même si on était pas d'accord avec beaucoup de choses chez Charlie Hebdo, c'est un journal avec un symbolisme de gauche encore fort. Nous l'avions d'ailleurs mis dans nos références dans notre charte.

Donc on continue la provocation, l'irrévérence, la franchouaillardise, merde aux drapeaux, merde aux leaders charismatiques, merde à tous les crispés...

et Prout aussi !