En un combat douteux est
l'histoire, racontée par John Steinbeck, de deux permanents du Parti
Communiste Américain, Jim et Mac partant impulser une grève chez
les travailleurs saisonniers qui récoltent les fruits dans les
vallées californiennes. Nous sommes dans les années 1930, l'épopée
du Far West est à peine terminée, ces travailleurs saisonniers sont
le sous-prolétariat américain, des Rednecks, itinérants,
déclassés et inorganisés. On imagine sans peine une B.O. avec des
airs de Pete Seeger et Woody Guthrie venant illustrer ce monde
Mac, militant expérimenté, forme Jim
nouvel adhérent. Ils ont un plan déjà bien rodé pour organiser la
grève : se faire accepter des travailleurs, repérer des leaders
issus du rang puis créer une situation de conflit qui soulèvera la
masse. Ils n'écartent pas – bien au contraire – des risques de
dérapage. L'issue du conflit ira bien au delà de leurs craintes, ou
de leurs espoirs, question sacrifice.
Comme les autres romans de Steinbeck,
nous nous trouvons entre fiction et reportage. Les deux héros ont
certainement eu des référents qui ont servis de modèle à
l'auteur. A la première lecture, les militants gauchistes que nous
sommes peuvent être séduit par l'activisme dévoué de ces deux
personnages. Ils font ce qu'une majorité d'entre nous seraient
incapables de faire. Ils correspondent au schéma du révolutionnaire
voulu par Lénine dans son ouvrage Que faire ? Ce sont des
militants professionnels, salariés par le Parti. Ils sont totalement
engagés pour LA cause, ils prennent des risques, ils sont courageux.
Et du courage il en fallait à cette époque pour affronter les
propriétaires américains et leurs milices de cow-boys. Le Far-West
finissant ressemble encore par bien des côtés au système féodal
européen : il y a le seigneur local, ses mercenaires et ses serfs.
Gare à ceux qui osent contester l'ordre établi, nombreux sont les
syndicalistes qui ont ainsi fini au bout d'une corde. Reportez-vous à
Une Histoire populaire des États-Unis d'Howard
Zinn pour en savoir plus sur cette période. Jim et Mac sont tels des
paladins tout en abnégation, allant de combat en combat, portant la
bonne parole. Leur Graal c'est le socialisme.
Mais
nous pouvons faire une deuxième lecture. Ces hommes n'ont ni famille
ni amis. Ils mènent une vie de spartiates. Leur camarades meurent
sous les coups de la police et ils savent que l'issue de leur
activisme s'arrêtera de cette façon là pour eux aussi. Leur
militantisme est un chemin de croix. De plus, les premières
discussions auxquelles nous assistons à propos de l'organisation de
la grève montrent un profond cynisme chez ces militants. Ils n'ont
aucune compassion pour les ouvriers qu'ils envoient au casse-pipe.
Ils estiment que les sacrifices qu'ils s'imposent sont acceptables
pour tous, quelque soit leur situation sociale ou familiale. Les
ouvriers ne comptent pas individuellement. Les révolutionnaires
montrent là leur ambivalence : ils promettent le succès aux
grévistes mais une défaite ne serait pas pour leur déplaire. Si la
grève finissait en tragédie, elle mobiliserait les consciences
ouvrières pour d'autres combats, encore et encore. Le mouvement
ouvrier n'est plus un moyen pour se libérer mais sert à
s'auto-alimenter.
Nous
pouvons reconnaître aujourd'hui encore à travers ces portraits, des
militants contemporains. On ne contestera pas qu'ils ou qu'elles
donnent beaucoup pour leur convictions qui sont aussi les nôtres,
mais... est-ce à cela que l'on veut ressembler ?
Le
rôle de la politique n'est-elle pas de rassembler autour d'un projet
des gens d'horizons différents qui se reconnaissent dans ce projet ?
Qui peut bien être attiré par ces ''moines-guerriers'' sinon
d'autres solitaires prêt au sacrifice ? Nous revenons ainsi à une
formule déjà énoncée sur ce blog, à savoir « peut-on
prêcher l'émancipation sans être émancipé soi-même » ?
Les militants monomaniaques font-ils envie ?
Pour
nous, anarcho-droitiers, la question ne se pose même pas. Lisez donc
En un combat douteux
de John Steinbeck que vous doutiez ou non de votre réponse.
7 commentaires:
Ca doit etre un sujet qui revient souvent, enfin en tout cas qui finalement se pose assez invariablement de tout temps.
On a la même chose dans V pour Vendetta exposé très clairement quand aux deux personnages principaux leur passé présent et futur.
OK pour la réflexion sur la fin et les moyens. Mais sans déconner, les AD, il faut arrêter de fantasmer l'existence, en 2013, en France, des "militants monomaniaques". Qui ne partage pas la critique des deux militants PCA de Steinbeck ? Là en creux vous tendez une fois de plus à amalgamer des positions révolutionnaires (que vous ne discutez pas sur le fond) et aspects condamnables de militantisme caricatural fantasmé (et dont vous ne donnez pas ici - et pour cause - d'exemple.. subliminalement sans doute la PZ.. ou LO.. on ne sait pas).
Pour info, Thierry Jonquet, dans Rouge c'est la vie raconte que LO avait justement fait lire "EUCD" au jeune militant qu'il était alors, au début des années 1970. C'était un test pour vérifier que la réaction saine était la critique que vous faites ! C'est normal et - heureusement, ne vous en déplaise - pas étonnant !
K.
Un de vos articles les plus intéressants. Ce n'est pas parce que l'on adhère à une cause ou que l'on devient un militant que par magie on se transforme en révolutionnaire émancipé. Il y a un travail moral, exigeant et constant, a effectuer sur soi (et qui doit aller dans le sens inverse de l'entreprise de démoralisation prônée dans le "catéchisme révolutionnaire" du sinistre Netchaiev). Mais il est vrai que, pour le meilleur et pour le pire, ce genre de militant n'existe plus de façon aussi "pure" aujourd'hui.
Si vous ne l'avez pas lu, je vous conseille "Le petit-bourgeois gentilhomme" d'Alain Accardo, il contient des éléments théoriques de qualité sur le sujet ( et même s'il s'agit pour le coup davantage de critiquer l'adhésion inconsciente de bien des militants à ce monde tel qu'il ne va pas).
@ K.
la pédagogie passant par la répétition, nous répétons :
Nous dénonçons les caricatures de militants, nous dénonçons l'esprit de caserne, cela ne veut pas dire que nous accusons tous les militants d’extrême-gauche d'être ainsi.
On connaît ce livre de Thierry Jonquet, mais le militantisme de LO ne nous fait pas envie pour autant...
"C'était un test pour vérifier que la réaction saine était la critique que vous faites ! C'est normal et - heureusement, ne vous en déplaise - pas étonnant !"
C'est plus le résultat final qui étonne.
Par son contexte et ses références, le livre était surtout recommandé car anti-autoritaire et donc jugé anti-pcf/stalinien. Pour autant les théories de luttes armées faisant lever les masses prolétaires et le souhait que la situation empire est quelque chose qui se retrouvait aussi bien chez les stals que les anars situationnistes. Faut se faire à l'idée : Aucune doctrine/courant de gauche n'immunise, tout le monde est concerné.
A noter que la traduction française est orientée... le vrai titre serait "En un combat incertain" ce qui change pas mal de choses.
Ensuite, le livre fut mal accueilli par tout le monde politicien : les anticommunistes y virent une propagande, les marxistes une attaque...
Lisez aussi "La croisade de Lee Gordon" de Chester Himes, encore plus prenant (et plus pessimiste): l'histoire d'un Noir américain engagé pour syndiquer les ouvriers noirs dans les usines d'armement américaines, en 1943. Tout y passe: patronat mafieux, stalinisme, racisme, psychopathie, paranoïa. Du grand art, franchement.
Enregistrer un commentaire