Je me souviens d'une passionnante
discussion que j'avais eu avec feu mon camarade Romain. Nous étions
assis au bord du fleuve Jinsha Jiang, dans la province du Sichuan en
Chine. Nous sirotions du thé au Jasmin en attendant que notre
guide-interprète, la délicieuse Pan Shuang, nous prépare des pipes
d'opium.
C'était l'époque où Romain et moi
chassions le panda dans la réserve naturelle de Wolong. Ne prenez
pas ces airs offusqués : des sentiments éco-humanistes nous
habitaient. Le panda est un animal très intelligent, nous en
convenons. Il est si brillant qu'il a compris que notre planète
était foutue. Le pire étant devant nous, il refuse de voir une de
ses descendances potentielles subir la lente agonie qui attend les
autres espèces vivantes. Sage animal qui a fait le choix courageux
de refuser de se reproduire. Or des scientifiques sans âmes et des
écologistes aux vues courtes s'acharnent au mépris de l'avis des
intéressés à perpétuer cette espèce. Il était de notre devoir
d'aider ce noble plantigrade ursidé à s'éteindre le plus vite
possible. Si vous émettez encore quelques réserves parce que, selon
votre petite sœur, ''le panda il est cromignon'', je vous
garantie qu'un panda se trainant sur le sol avec deux décharges de
chevrotines dans le bas-ventre a perdu cet aspect peluche en même
temps que toute dignité...
Ici commence le vrai article :
Mais ce n'est pas de panda que je
souhaitais vous parler. Romain évoquait ce soir là un changement de
paradigme provoqué une fois de plus par l'évolution des pratiques
sociales liées à internet. La sphère intime de chaque individu,
affirmait mon vieux compagnon, se barricaderait de plus en plus :
l'espace abandonné aux réseaux sociaux serait compensé par une
ostracisation accrue de son espace physique privé. Ainsi il
deviendrait plus difficile dans le domaine politique d'intervenir
directement auprès d'un individu lambda, que ce soit lors de
distribution de tracts sur la voie publique ou en porte-à-porte.
Pour faire plus simple, Lambda ne voudrait pas être dérangé dans
sa bulle, pire, il ne comprendrait plus qu'on puisse le déranger
dans sa bulle.
Il se trouve que je sors d'une période
de porte-à-porte assez intense durant la campagne municipale. Je
n'ai pas ressenti ce choc de cultures entre militants old school et
concitoyens 2.0. Peut-être est-ce dû au fait de vivre et militer
dans une petite ville de province ?
Je n'avais pas fait de porte-à-porte
depuis la fac. Et encore, à cette époque, nous autres gauchistes
étudiants le pratiquions uniquement en cités universitaires, c'est
à dire auprès de nos pairs, auprès de jeunes avec qui nous
partagions une culture commune. On rencontrait des potes d'amphi, on
s'arrêtait à boire un ou deux ou trois apéro puis on se disait que
le porte-à-porte pouvait être remis à plus tard et on roulait un
truc dans des feuilles OCB merci bonsoir... Pas de ça dans la vrai
vie. Le porte-à-porte en ville et en quartier populaire c'est le
corps à corps du militant politique, l'électeur à convaincre on
lui voit le blanc des yeux.
Je n'aime pas ça, mais alors
absolument pas. Je suis un garçon timide. Pourtant je l'ai fait. Et
mon esprit tordu d'anarcho-droitier n'a pu s'empêcher de prendre des
notes en regardant faire mes camarades.
Quand bien même mon pote Romain (que
le grand Karl parfume sa mémoire) aurait raison, ce n'est pas parce
que le porte-à-porte serait une pratique en déclin qu'il faudrait
l'abandonner complétement. Comme toute pratique en déclin il faut
redéfinir son objectif et resegmenter son marché. Cette opération
ne doit se faire que très ponctuellement, pour ne pas saouler
Lambda, d'autant plus que c'est une pratique extrêmement chronophage
et épuisante. Mais elle doit être pratiquée régulièrement (tous
les deux ans, trois ans?) pour s'inscrire comme une pratique normale
bien qu'exceptionnelle.
Voici donc quelques conseils et
remarques :
● Le porte à porte est une activité
fatigante, je viens de le dire. C'est un travail à la chaine où
l'on répète sans cesse le même discours. J'ai remarqué en ce qui
me concerne, et certains camarades m'ont dit ressentir la même
chose, que cette action répétée finissait par avoir un effet
euphorisant : on rigole et on finit par cabotiner. Aussi ne
faites jamais plus de deux heures de porte-à-porte d'affilée, on
est moins productif et je ne suis pas partisan du militantisme
sacerdotale.
● Habillez-vous
correctement. Pas de veste militaire, de T-Shirt Anarchie
en Chiraquie, pas
de badges, pas de look hippie ou surfeur... « correctement »
veux dire ici « neutre ». Nous ne sommes pas là pour
choquer qui que ce soit. Certains camarades pensent que la
chemise-cravate permet une écoute plus facile et respectabiliserait
les idées présentées. Je ne suis pas convaincu, j'ai peur que cela
dresse une barrière entre militant et résident.
● Ne
faites jamais, évidement, du porte-à-porte seul. On a l'air d'un
looser qui n'a pas d'amis. Ne le faites pas à trois non plus, le
résident interpellé se sentirait envahi et se bloquerait d'office à
toute écoute. Donc le faire à deux. L'un et l'autre peuvent se
relayer à chaque porte et chacun s'économise.
● L'idéal
est d'avoir un duo mixte, en sexe et en âge. Le résident a plus de
chance de reconnaître un pair dans l'un de ses interlocuteurs. Un
autre avantage de faire du porte-à-porte avec un ou une camarade
retraité, c'est que les gens ouvrent plus facilement, surtout les
personnes âgées.
● Frappez
à la porte (ou sonnez) et faites un pas en arrière afin que le
résident, en ouvrant ne se retrouve pas nez à nez avec vous et soit
surpris et intimidé. De plus, vous devez rester dans sa sphère
sociale (entre 1,2 et 3,5m voir schéma) et ne pas rentrer dans sa
sphère intime. Ceci serait considéré comme agressif venant d'un
inconnu.
● Souriez
et présentez-vous (au moins un prénom)
● Ne
vous excusez jamais pour le dérangement. On ne dérange pas, on
vient présenter des idées politiques géniales (dans les faits,
bien sûr qu'on les dérange, mais c'est inutile de le faire
remarquer, ce serait se présenter sous un angle négatif)
● Ne
soyez pas intrusif, pas de question du genre pour
qui votez-vous? Le
résident n'a pas à se justifier, il est chez lui.
● Ne
venez pas les mains vides, ayez un tract à donner et un rendez-vous
à proposer (meeting, manif, date du vote...) c'est votre prétexte
pour avoir sonné à la porte.
● Vous
avez une chose à dire, pas mille. Faites des phrases simples et
courtes. L'entretien doit prendre cinq minutes maximum. Ce n'est pas
parce qu'un résident est poli avec vous et qu'il vous écoute avec
le sourire qu'il a envie que vous restiez à développer tout votre
programme politique.
● Il
est inutile d'engager un débat avec un résident aux idées opposées
aux vôtres mais ouvert à la discussion. Vous ne le convaincrez pas
et vous perdrez du temps. De même si vous tombez sur un papy ou une
mamie qui a envie de vous raconter sa vie, fuyez !
● Le
ou les candidats doivent évidement participer le plus possible à
ces porte-à-porte.
● enfin,
le plus important, choisissez les quartiers que vous allez prospecter
en fonction des scores électoraux précédents. Choisissez en
priorité ceux qui vous sont le plus favorable. Ignorez les quartiers
de droite même s'il y a beaucoup d'abstention. Les abstentionnistes
se découplent comme le quartier, il y a autant d'abstentionnistes de
droite que de gauche (c'est une idée-reçue de gauchistes de croire
que si les gens ne votent pas c'est qu'ils attendent la révolution).
Le
but d'un porte-à-porte est de mobiliser son électorat. Il sert à
envoyer voter ceux qui sont déjà susceptible de voter pour vous. Il
faut les motiver en leur montrant qu'il existe déjà des militants
motivés : des militants qui leurs ressemblent, qui ne les
effraient pas et qui ne les embêtent pas (trop). Votre entretien est
donc là pour laisser une bonne impression. Le porte-à-porte se fait
au moment de campagnes, et les campagnes électorales locales s'y
prêtent bien. On pourrait cependant expérimenter aussi du
porte-à-porte lors de mouvements sociaux pour rassembler des
habitants pour des manifestations...mais point trop n'en faut.
Post-scriptum :
évidement, si c'est un panda qui vous ouvre sa porte, ne perdez pas
de temps à vous interroger sur l’incongruité de cette situation,
tuez-le !
1 commentaire:
http://www.marxists.org/francais/general/makhno/works/1918/makhno.htm
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