Philippe Poutou
tenait une réunion publique à deux cent mètres de chez moi en février dernier. Il
était donc dit que nous nous rencontrions... En vérité, j'ai
d'abord cru que c'était Bill Murray mais le gars était trop
souriant pour être l'acteur de Lost
in Translation. Une fois ce malentendu dissipé, on a causé
de sujets qui intéressent ce blog : les rapports entre
militants, les façons de militer, le fonctionnement d'une orga, les
formes de communications...
Ton départ du comité exécutif du
NPA, en novembre 2014 n'est pas passé inaperçu. Ta lettre de
démission s'est retrouvée dans Mediapart, était-elle destinée à
être publique ?
Non. Elle a
''fuité''. Je l'ai envoyée à la liste du Conseil Politique
National du NPA qui comporte une centaine de mail, elle a ensuite
circulé parmi les militants. Quelqu'un a fini, peut-être sans
mauvaise intention, par la passer à un journaliste. C'est comme ça,
c'est pas non plus bien grave, on aime bien quand les journalistes
s’occupent des conneries de l'UMP ou du PS, donc faut accepter que
nos problèmes soient débattues publiquement. En soi c'est pas un
vrai problème.
Dans cette lettre, tu disait que tu
avais l'impression d'être un fantôme au sein du CE, que tu ne te
sentais pas utile et tu reprochais aussi un manque de respect de
certains camarades. Comment ça se traduisait par exemple ?
Le problème [de
cette mauvaise ambiance] c'est le contexte politique et social qui
est dur pour les organisations et les syndicats. On voit qu'on a pas
trop la main, qu'on ne peut pas agir comme on veut, qu'on est
marginalisé. Tout ça crée un contexte très particulier dans les
organisations et ça a des conséquences, celles de détériorer les
relations en interne. Il y a une sorte de résignation ou de
désespérance qui se met en place et les combats que l'on ne peut
mener à l'extérieur, on les mène à l'intérieur de l'orga. Du
coup les relations entre militants se détériorent et moi, étant
bordelais dans un milieu très parisien, je deviens l’élément
extérieur à qui il est facile de répondre « t'as qu'à
venir » alors que tous les autres sont sur place. Ces exemples
datent d'il y a deux ans mais ça n'a pas beaucoup changé
aujourd'hui.
A part être parisien, c'est quoi le
profil d'un membre du CE du NPA ?
Je crois que c'est
''enseignement publique'' et puis vieillissant aussi. C'est un
problème qu'on a depuis longtemps. On a beaucoup de jeunes dans
l'organisation mais les cadres restent des anciens.
Ça fonctionnait mieux du temps de
la LCR ?
Moi je ne peux pas
comparer parce que je suis arrivé à la direction suite aux
élections [présidentielles de 2012] mais je sais qu'il y avait déjà
des situations difficiles en interne. Alors on peut penser que ça se
dégrade à cause de la situation sociale et aussi parce qu'on est
moins nombreux. Du coup les mauvaises relations entre certaines
personnes apparaissent plus vite et de façon plus flagrante et
pèsent plus sur l'organisation. C'est ce qui arrive quand un groupe
rétrécit.
Tu racontes que le NPA subit aussi
des ambitions personnelles. C'est quoi les ambitions personnelles
quand on est au NPA ? Pas être élu sénateur ou député ?
L'ambition
personnelle c'est pas forcément avoir des postes. Comme dans un
syndicat ou une entreprise, on a des gens qui aiment bien jouer les
petits chefs, même à un tout petit niveau, qui aiment décider à
la place des autres et faire preuve d'autoritarisme. On pourrait
espérer construire un parti à l'abri de ça, mais non, c'est comme
partout. Alors demandons-nous comment on peut isoler ces défauts.
Justement, tu as des solutions pour
corriger tout ça ?
Non, je n'en ai
pas. Après on se dit que si jamais demain on arrive à revivre des
mouvements sociaux, qu'on a ça comme aliments au quotidien, ça
paraît logique que la vie interne progresse parce qu'on se libérera
des conflits internes. De la même manière que dans une entreprise,
on peut voir des conflits entre collègues, des jalousies entre les
carrières des uns et des autres, les relations tendues avec les
chefs, si un conflit social survient, ces conflits sont relégués au
second plan. Des groupes et des liens collectifs de solidarité vont
naître. Nous [le NPA] on est un peu dans cette situation là, ça
dépend de l'extérieur. En attendant comment on fait ? En tout
cas discuter de ça c'est compliqué.
Tu racontes que comme les autres
porte-paroles, tu décides seul des déplacements que tu vas faire.
C'est le cas ce soir ?
Oui, c'est les
camarades qui me sollicitent pour venir dans leurs villes, je fais en
fonction de mon emploi du temps. Ce n'est pas dramatique en soi parce
que c'est mon boulot aussi. Mais c'est dommage qu'on ne puisse pas en
discuter collectivement.
Ça veut peut-être dire que le CE
te fait confiance ?
Non, c'est pas une
marque de confiance, c'est une habitude qui a été prise. Chacun
bosse dans son coin. C'est vrai que ce serait plus confortable si ça
fonctionnait différemment. Il vaut mieux se le dire, on ne devrait
pas fonctionner comme ça.
A quoi la direction du NPA
devrait-elle servir, mise à part ça ?
Le rôle d'une
direction n'est pas seulement de dire ce qu'il faut faire. Elle doit
être à l'écoute de la base militante. Donc quand on décide d'une
campagne nationale, comment peut-on donner aux équipes locales les
moyens d'agir ? Ça veut dire avoir un regard sur les autres et
pas juste sur ce qui se passe à Paris. Ça pose la question de
comment on homogénéise un parti afin de gagner du temps,
d'économiser de l'énergie militante. Entre le Gers où l'on a cinq
militants et Paris où il y en a plusieurs centaines, ce ne sont pas
les mêmes conditions de travail – on peut employer ce terme là –
on doit donc savoir comment répondre aux besoins particuliers des
uns et des autres. Pour l'instant on est loin de pouvoir maîtriser
cette situation-là.
Il n'y pas de commission sur les
questions de fonctionnement au NPA ?
Non, il y a des
commissions thématiques (anti-racisme, féministe, écologie...). On
a essayé de mettre en place des groupes pour l'amélioration du
fonctionnement de l'orga mais on a jamais réussi à instaurer des
choses qui soient collectives (au niveau de la direction).
Quand tu as été candidat, tu avait
bien une équipe derrière toi ?
Oui, mais c'était
fragile.
Un militant du NPA local disait dans
la presse que « les partis désormais c'était cramé »,
tu es d'accord avec lui ?
Globalement oui,
on peut le dire, il y a un discrédit énorme. Mais je ne crois pas
qu'on souffre de ça, nous. De toute façon, la politique en
elle-même a toujours été étrangère à la plupart des gens.
Beaucoup votent et point barre. C'est vrai qu'on dit qu'il y a une
crise de l'engagement politique. Beaucoup de militants, à la gauche
de la gauche, se découragent, se mettent en retrait mais si on
compare à une échelle de temps plus large, moi j'ai jamais connu
des moments où il y avait plein de militants, ni dans les partis, ni
dans les syndicats. C'est peut-être plus flagrant aujourd'hui parce
que le patronat est à l'offensive et on voit qu'on n'est pas assez
nombreux pour riposter. L'associatif est cramé, les syndicats sont
cramés... comme les partis. C'est l'idée de résistance collective
qu'il n'y a pas ou plus dans la tête des gens.
Qu'est-ce que tu penses alors des
nouvelles formes de militantisme hors-partis du type « collectifs
citoyens » ou les « indignés » ?
On peut parler
aussi des zadistes. Ce sont des embryons de nouvelles formes de
luttes et c'est pas mal, mais on voit bien qu'eux aussi manquent de
force. Ces mouvements se développent mais en méfiance des milieux
qui militaient déjà et c'est un handicap pour tout le monde. Ça
fonctionne bien à Notre Dame des Landes, on a là un bon exemple où
agriculteurs et zadistes, sans toujours faire les mêmes choses,
discutent et agissent ensemble. A Sivens ça n'a pas pu prendre.
Entre les zadistes, les associations du Testet, le collectif des
Bouilles, ce n'était pas tout les jours la bonne ambiance. Après,
nous, on est pour que les gens s'organisent eux-mêmes quelques
soient les formes que ça prendra.
Je ne connais pas
Chouard, mais le tirage au sort, à mon avis, c'est bidon. Ça fait
un peu tâtonnement : « on sait pas quoi faire, donc si on
disait ça ». Ce qui nous manque c'est que des tas de gens
s'investissent. A partir de là on pourra envisager de comment se
structurer, et certains éléments deviendront peut-être pertinents
à ce moment-là. On est tous en attente de quelque chose qui nous
botte. C'est comme les formes de lutte. Les manif, on sait tous que
c'est hyper-chiant. Toutes les villes ont leurs habitudes, on refait
le même trajet de telle place à telle rue depuis des années. Mais
on se dit qu'il vaut mieux ça que rien. C'est quand ça explosera
qu'on trouvera de nouvelles formes de luttes. Mai 68 ça ne s'est pas
préparé avant. En attendant, le fait qu'il n'y ait plus qu'un seul
type de discours sur l'immigration, le chômage, l'économie, tout
cela entretient une grosse confusion sur les lignes politiques. Ça
profite d'abord au gouvernement, dont tous les membres sont aussi
nuls les uns que les autres mais qui arrivent quand même à faire
passer leurs réformes à coup de 49.3. Ça profite ensuite à pas
mal de mouvances qui entretiennent cette confusion et sont des
passerelles vers l'extrême-droite.
Question à la manière des Inconnus
qui demandaient la différence entre un bon chasseur et un mauvais
chasseur, c'est quoi la différence entre bon militant et un mauvais
militant ?
J'ai pas envie de
classer les choses comme ça. Je pense que dans les milieux
militants, parce qu'on arrive pas à mener les combats comme on
voudrait et que nous sommes des militants, des combattants donc, on
va se battre contre n'importe qui. En interne ça donne des
situations problématiques. C'est la même chose dans les boîtes
avec les batailles inter-syndicales. Il y a trop de divisions,
d'esprit boutiquier. On est formé par ça et on croit parfois que
militer c'est combattre FO, la CFDT et mettre ça en avant. Le
rapport de force étant défavorable, on mène les combats qu'on peut
mener, et les combats qu'on peut mener facilement c'est contre celui
d'à côté. En interne au NPA, on dépense une telle énergie à
combattre la tendance d'à côté qu'on finit par croire que la
priorité ça devient ça. On finit par croire que militer c'est ça,
avec un rapport parfois très viriliste, très musclé. C'est le cas
au NPA, c'est le cas aussi dans tous les courants du Front de Gauche
et dans tous les syndicats.
Comment peut-on sortir de ces
combats stériles ?
On devrait avoir
le droit de douter. Pour l'instant le doute est vu comme une
faiblesse par ceux qui n'ont que des certitudes. Il faudrait vraiment
arriver à ce que nos points de désaccords deviennent des points de
débats et pas systématiquement des points de conflits. En plus ça
ne donne pas envie de nous rejoindre. Les gens ont suffisamment de
conflits dans leur vie pour s'en rajouter d'autres au sein d'une
orga.
Dernière question : les clips
de campagne pour les présidentielles de 2012 étaient vraiment
géniaux. Comment l'idée vous est venue ?
C'est le
réalisateur des films, Hugo, qui est toujours militant au NPA, qui a
écrit les scénarios avec ce côté culotté et osé. Au début ça
passait pas bien auprès de certains camarades, mais on a pu le faire
parce que justement je débarquais de nul part. Quand Hugo m'a vu et
a discuté avec moi ça a dû le conforter dans l'idée de faire les
choses de cette manière. Quand je passe pour la première fois chez
Ruquier, je ne maîtrise rien mais on a retourné cette situation en
notre faveur. Il fallait surtout pas tenter d'imiter Olivier
Besancenot. Si on repart en 2017 (on décidera en mars), on ne refera
pas exactement la même chose.
C'est pas ingrat d'être reconnu
dans la rue ?
Non,
c'est pas chiant, c'est même rassurant. Même à ma petite échelle,
avec mon petit score d'il y a cinq ans, les gens viennent me voir et
discuter, c’est fraternel et
chaleureux parce qu’ils se reconnaissent dans quelqu’un comme eux
qui s’exprime comme eux. François
Ruffin expliquait dans un débat que les gens ont besoin
d'incarnation. Olivier surtout mais moi aussi incarnons un certain
combat, la
parole des gens d’en-bas.
On reste dans la délégation mais dans ce contexte c'est pas mal
d'avoir des repères, ça fait espérer.
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