- Ce ne sont pas des dieux !
- C’est clair ! Ce ne sont pas des dieux !
- Comment tu dis qu’ils se font appeler ?
- Des « spagnols » ou des « quré-ti-un » je crois…
Tout en mâchonnant des feuilles de coca, Quiquiz et Tisoc observent du haut d’un col la colonne d’hommes qui progressent péniblement quelques lacets plus bas. Engoncés dans leurs armures, les soldats espagnols tentent de faire avancer les chevaux dont les pattes se coincent entre les pierres du sentier de montagne. Des hommes vomissent, d’autres s’écartent précipitamment du chemin pour aller déféquer derrière des rochers. En queue de cortège, des malades sont transportés par des esclaves indiens en aussi piteux état qu’eux.
Quiquiz : regarde-moi ça ! Et ces poils qu’ils ont autour de la gueule ! Ils sont dégueulasses ! J’ose pas imaginer la tronche de leurs femelles !
Tisoc : ils ne digèrent pas la bouffe d’ici. J’ai envoyé des espions dans leur colonne. C’était facile, ils ne font pas la différence entre un esclave panaméen et de vrais incas. Ils sont compléments inadaptés.
Quiquiz : et alors ? t’en sais plus sur leurs intentions ?
Tisoc : ces… trucs ont la prétention de vouloir rencontrer notre Sapa Inca, notre Unique Seigneur souverain de l’Empire des Quatre Directions. Ils chercheraient de l’or…
Quiquiz : faudrait déjà qu’ils survivent jusqu’à Cuzco et vu comme ils sont partis c’est pas gagné !
Tisoc : méfis-toi quand même, ça reste de sacrés connards. Sur la côte, ils ont volé de la nourriture et cramé des villages. Ils ont aussi attrapé des gamines et je ne te fais pas de dessin sur ce qu’ils leur ont fait.
Quiquiz : ce sont des chiens !
Tisoc : bon on va pas y passer la journée ! Dans un gros quart d’heure l’affaire est réglée.
Tisoc se retourne vers les guerriers incas qui patientent le long des pentes. Ils ont amassé des tas de pierres qui n’attendent que de basculer sur les étrangers. En regardant leurs deux chefs ils saisissent leurs frondes et leurs lourdes masses d’armes. Tissoc s’apprête à ordonner l’attaque mais Quiquiz arrête son geste.
Quiquiz : attends ! Je pensais à un truc.
Tisoc : je t’en prie.
Quiquiz : qu’est-ce que tu t’en fout de la sécurité de l’Inca ? Après tout t’es un chimu, ça fait à peine deux générations que vous êtes intégrés dans l’Empire. Quant à moi, j’ai beau être un quechua pure race, j’étais partisan de Huascar le seul Inca légitime, Atahualpa n’est qu’un usurpateur. Toi ils ont cramé tes temples, moi ils ont tué deux de mes cousins.
Tisoc : et alors ?
Quiquiz : ben alors y a peut-être moyen de foutre un sacré bordel dans l’Empire. Les paysans les prennent pour des dieux, ils ont des armes qui peuvent impressionner les esprits faibles et ce sont des bourrins. Ils veulent voir l’Unique Seigneur ? Laissons-les voir l’Unique Seigneur !
Tisoc : et s’ils prennent le pouvoir ?
Quiquiz : ils parlent pas la langue, ils connaissent pas le pays et ils sont à peine deux cents ! S’ils prennent le pouvoir, ils seront incapables de gérer quoique ce soit et dans six mois c’est la révolution. Et c’est là qu’on ramasse le pactole, on les fout dehors et on récupère le trône.
Tisoc : n’empêche ! Les villages pillés, les gamines… on joue avec le feu !
Quiquiz : C’est vieux tout ça. L’Inca a détruit tes temples ! Qu’est-ce que tu veux qui puisse arriver de pire ?
Tisoc réfléchit quelques instants en contemplant la colonne étrangère qui semble piétiner au pied du col.
Tisoc : tu as toi-même subtilement rappelé que je n’étais qu’une pièce rapportée dans l’Empire du Tawantinsuyu. Après tout… débrouillez-vous, je m’abstiens.
Quiquiz : yes ! je m’occupe du reste.
Le guerrier inca s’engage dans le sentier montagnard. Les conquistadors épuisés aperçoivent bientôt l’homme s’avançant vers eux, leur présentant ses paumes de mains ouvertes en signe de paix.
Quiquiz : eh les mecs ! C’est votre jour de chance, on a voté pour vous !
Oui on sait ce sont des mayas sauce Mel Gibson mais ils ont une putain de gueule