Récapitulons
sommairement : on a d’abord eu « le confinement est la première étape
pour faire un coup d’Etat en France, la preuve, j’ai vu une photo d’un convoi
militaire sur une autoroute ». A suivi « il n’y a pas de danger
puisque les américains envoient des troupes renforcer l’OTAN en Europe, pourquoi ?
Je pose la question etc ». Il y a ce mec se filmant dans son garage en
dénonçant un complot où le Covid était fabriqué dans un labo chinois financé
par la France et coordonné par le mari de Buzyn. Inutile de rappeler l’épisode Raoult
et sa tisane miraculeuse. On a eu aussi les résidents des Ehpad euthanasiés, le
professeur Montagnier et ses liens entre VIH et Covid (encore une expérience de
labo qui se serait échappée), Bill Gates et ses vaccins à puces … Et ceci
n’est que la pointe émergée d’un iceberg vu de loin.
Pour garder
la grille de lecture de ce blog, ce qui nous emmerde ici, c’est quand ce sont
des camarades de notre camps politique qui partagent ce genre de conneries et qui
parfois même y dépensent une grande énergie militante pour les défendre bec et
ongles. Ils se décrédibilisent et cette
perte de crédit entache notre camps politique. Dans les années futures, de
nombreux petits malins remonteront les historiques des profils des prochains
candidats politiques pour savoir ce qu’ils pensaient au moment de la crise du
Covid (et ils auront raison de le faire).
Et quand on
cherche à ramener ces dits camarades vers une pensée plus critique, on a parfois
le sentiment de s’engager sur les sentiers de l’Himalaya chaussé en crocs. Le biais
de confirmation des hypothèses est un sommet difficile à vaincre. L’idée d’une
conspiration de la classe capitaliste dénoncée par des anonymes (le mec dans
son garage) ou des héros solitaires et iconoclastes (Raoult) s’adapte bien à la
représentation du monde de nos camarades. Ceux-ci vont alors exclure les
informations contrevenant à leur récit (comme le fait que Raoult est un
climatosceptique courtisan de toute la baronnie mafieuse de droite de la région
Paca, par exemple). Ce n’est pas la seule chose que vont exclure nos camarades.
L’éventuel contradicteur devient vite un ennemi de classe qui fait le jeu, au
choix, des labos pharmaceutiques, de Macron, des médias corrompus à la botte du
pouvoir etc.
Ainsi tel a
été notre engagement militant durant le confinement, nous avons tenté de déconstruire
des fakes news et de fournir des ressources fiables dans notre entourage politique
et syndical. Ça ne s’est pas fait sans conflits, on a tenté d’être bienveillant,
on a parfois perdu patience. La suite de cet article résume quelques points redondants
de nos discussions sur divers forums.
« Tu
es un donneur de leçon. Tu méprises les gens qui n’ont pas fait d’études alors
qu’ils sont tout à fait capables de faire leurs propres recherches et d’avoir
un avis. »
C’est un
système de défense qui revient très vite dans les discussions. Celui-ci part
néanmoins d’un ressentiment réel et concret. Utiliser des expressions ou un
vocabulaire qui n’est pas compris par son interlocuteur peut être pris comme
une insulte par ce dernier. L’adhésion a des théories du complot part d’abord d’une
démarche rationnelle : on cherche une explication à un phénomène inquiétant.
Or pour Frédéric Lordon, adhérer à ces thèses conspi « traduit la
contradiction entre la volonté de savoir des classes dominées et leur absence d’accès
aux moyens de savoir. » Partager ses connaissances en respectant l’autre,
est-ce donc donneur de leçon ? Le mépris ne serait-il pas plutôt de ne pas
répondre ? de laisser ses camarades dans l’erreur ? Expliquer est au
contraire avoir confiance dans l’intelligence de ses interlocuteurs.
« J’ai
le droit de me poser des questions. »
Posez-vous
alors toutes les questions. Pourquoi voir absolument un complot derrière cette
pandémie ? Utilisez le principe du rasoir d’Occam : les explications
les plus simples sont les plus probables. Des écosystèmes rentrent en contact,
des virus passent de l’un à l’autre, point. Une question à se poser est pourquoi
ces écosystèmes se sont rencontrés.
« Je
partage pour que les gens se fassent leur propre opinion. »
C’est
généreux mais on peut partager des sources vérifiées. Partager c’est propager l’épidémie
d’infox. Certes ça peut favoriser l’auto-immunité de ceux qui déconstruiront l’info
mais au prix de combien de citoyens perdus ?
« Pourquoi
tes sources seraient-elles plus fiables que les miennes ? »
Parce qu’elles
suivent une méthode scientifique, un protocole de vérification. On vérifie leur
origine, on regarde qui est l’auteur, on la compare avec d’autres informations
sur le même sujet. On élimine les sources qui ont déjà propagé des intox par le
passé. On ne fait pas confiance aux infos venant de l’extrême-droite. Trump
est-il une source fiable ? On ne répond même pas à cette question. Raoult,
climatosceptique, courtisan des élus corrompus, qui niait la dangerosité de la
pandémie, est-il fiable ? On ne questionne pas l’info, on commence par
questionner la source.
« Montagnier,
Raoult sont d’éminents professeurs. »
Cela n’empêche
pas de questionner ces sources. Il s’agit ici d’un argument d’autorité. On
donne de la valeur à une info en fonction de son origine plutôt que de son
contenu (c’est l’inverse du paragraphe précédent). De plus les propos rapportés
peuvent être tronqués ou sortis de leur contexte. En l’occurrence Montagnier et
Raoult sont des chèvres.
Finalement le
temps et l’énergie dépensée à défendre ou combattre les fakes news nous font
défaut pour lutter sur des vraies questions : l’incompétence des libéraux,
la casse de l’Hôpital, la responsabilité de cette société capitaliste et d’échanges
mondialisés dans la propagation des virus, la restriction de nos libertés, le
monde d’après que nous prépare le Medef, etc. Les fakes news ce sont des
ennemis de classe.
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