Il est toujours agréable d'entendre ou
de lire quelqu'un qui pense comme nous. Surtout quand on croit se
sentir seul. On ''croit'' se sentir seul, car ceci dit entre
parenthèse, nous sommes loin d'être les seuls à être sceptiques
quand à de nombreuses pratiques ancestrales et immuables de
l'extrême-gauche.
Parmi ces sceptiques, il y a Paul
Ariès. Paul Ariès est un décroissant qui s'habille bien et qui ne
semble ni triste ni aigri, ce qui est appréciable dans ce milieu.
Son dernier bouquin Le socialisme gourmand est
un plaidoyer pour en finir non seulement avec les passions tristes du
capitalisme certes, mais aussi celles des courants de gauche et de la
décroissance. L'auteur de La Simplicité volontaire prend
ici le parti d'une gauche maquisarde, antiproductiviste (coucou le
PCF !) et promouvant la joie de vivre (coucou les curés rouges !).
Le
chapitre 4 est dédié aux organisations de gauche pour y dénoncer
les sacrifices auxquelles elles font trop souvent appel. Nous ne
résistons pas en citer quelques extraits :
« Un
des premiers territoires à libérer n'est-il pas celui de nos
organisations afin d'en faire des lieux de créativité gourmande ?
En trente-cinq ans de vie militante, j'ai souvent eu le sentiment de
retrouver la dureté des relations capitalistes au sein de nos
mouvements. Nos organisations sont peut-être construites pour mener
des batailles et gagner des guerres mais pas pour y vivre. On est
bien plus heureux dans un club de boulistes, un groupe d'amis, en
famille qu'au sein d'une avant-garde révolutionnaire. Les vrais
amitiés y sont rares et fragiles.
Le grand mal de la gauche, c'est
l'anesthésie de la vie. Je n'ai jamais trop aimé le sérieux
appliqué dont on doit faire preuve dans le militantisme, les
réunions sans réels débats, les rapports qui répètent la doxa du
moment pour prouver son orthodoxie, les pétitions lancés pour
occuper les militants, etc. cet assèchement de la vie militante
n'est pas sans rapport avec la foi en des « lendemains qui
chantent » […]
Il faut en finir avec la gauche
sacrificielle. Évidement la lutte des classes est
difficile, les militants s'en prennent plein la tête (les milliers
de représentants du personnel licenciés chaque année), mais
n'est-ce pas une raison suffisante pour jouir pleinement de la vie
présente, pour construire des organisations qui soient autant de
moments volés aux logiques de pouvoir ? La gauche sacrificielle est
celle est la conséquence d'un type d'engagement (le militant, le
moine-soldat) calqué sur un modèle de type religieux et militaire.
L'utopie justifie tous les sacrifices... de temps, d'argent, d'amour,
professionnels. C'est toujours au nom de la cause que l'on accepte de
ne pas recevoir de promotion, de ne pas avoir de temps de s'occuper
de ses enfants, de son conjoint, de ses amis, de sa vie. »
Avouez
qu'on a de quoi s'y retrouver. La suite du livre propose des pistes
pour guérir de cet esprit de sacrifices. Des
exemples sont tirés des expériences des bourses du travail, du
mouvement coopératif, du socialisme municipal ou du syndicalisme à
bases multiples. Il s'agit ensuite de défendre un projet politique
qui suscite le désir autant que l'adhésion, un projet émancipateur
concret, peu importe son nom : socialisme gourmand, buen vivir, jours
heureux, écosocialisme...
Comment
faire venir en effet des ''vrais gens'' en masse dans nos
organisations et pas seulement des kamikazes ? La question avait été
abordé au moment du processus de fondation du NPA, on avait parlé
de nouvelles méthodes de militantisme. Quatre ans plus tard
lorsqu'on pose la question aux militants survivants de savoir où en
est cette réflexion, la réponse est la même : « nous allons
bientôt nous repencher dessus... incessamment sous peu... ».
Il
faut bien sûr donner envie de venir, il faut susciter le désir
d'adhérer. Les critiques faites quelques lignes plus haut sont aussi
valables pour le Front de Gauche. Que les partis (re)deviennent des
lieux de vie. Il s'agit d'abord d'avoir un local pour se retrouver,
et que ce local soit accueillant, beau, confortable et non pas une
aire de stockage d'affiches (voilà une idée d'article !). Il faut
proposer des activités, et pas seulement politiques : repas, jeux,
séance cinéma, librairie... Allez faire un tour à Presles lors de
la fête de LO pour vous faire quelques idées, si si, vous avez bien
lu : ''la fête de LO'' ! Combien de comités militants ont ce genre
d'activités dans leur bilan ?
Le
paradoxe d'une organisation de gauche cool c'est qu'il faut à la
fois sensibiliser sur les problèmes politiques et sortir les gens de
la morosité qu'engendrent ces mêmes problèmes politiques. Une
organisation de gauche cool doit donner autant le sourire que la
volonté de se battre, elle doit détendre et rassurer pour ensuite
passer à l'offensive.
Ce
type de projet n'est pas évident à mettre en place quand on est
aussi tordu que la faucille et aussi rigide que le marteau. Trop
nombreux sont encore les militants avec ce profil, mais nombreux
aussi sont les militants qui tentent de nouvelles expériences. Le
socialisme gourmand est bol
d'air frais qui nous permet d'organiser nos idées. Si vous ne pouvez
pas l'acheter, volez-le, son auteur défend le principe de
l'extension de la gratuité.
Paul
Ariès, Le socialisme gourmand,
Édition La Découverte, Paris, 2012, 2013.
2 commentaires:
mouais, j'ai eu l'occasion d'aller à une conférence d'Ariès, il a une tendance assez insupportable à se prendre pour Dieu-le-Père: "je viens vous annoncer une bonne nouvelle", "sommes sommes à l'aube d'une ère de grands bouleversements", "n'ayez pas peur", etc.
Un apprenti-messie qui viens nous dire de ne pas finir moine...
Le Monsieur est peut-être imbu de lui même (ou pas je ne l'ai jamais rencontré), cela ne l'empêche d'avoir raison dans cet article.
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