Le sacrifice, oui mais pour les autres.
Trois militants de gauche sont assis
en terrasse et discutent (ce sont donc des résistants depuis le 13
novembre) quelque part dans le sud de la France, à Toulouse ou
Montpellier, allez-savoir...
Gros Bébert : moi j'suis
viscéralement antifasciste, la preuve mon grand-père était au
maquis.
Léandre : ouais moi aussi,
grave, c'est une question fondamentale !
Gros Bébert : avec cette
vermine faut pas prendre de gants, tous les moyens sont bons pour les
réduire au silence, « by any means necessary, par tous
les moyens nécessaires » comme disait Malcom X...
Léandre : ouais c'est pas
des partis comme les autres, les fafs, le fascisme c'est comme la
gangrène, on l’élimine où on en crève.
Gros Bébert : de toute
façon on finira par en venir aux armes, y'aura pas d'autres
solutions, et ce jour-là je serai en première ligne sur les
barricades !
Léandre : « peuple
armé, peuple respecté », moi aussi, s'il faut se salir les
mains, s'il faut faire des trucs crades, je les ferais, No pasaran !
Le troisième militant : du
coup ce week-end au deuxième tour des régionales, on vote PS pour
faire barrage au FN ?
Gros Bébert : quoi ?
T'es pas fou toi ? Voter PS après toutes les saloperies qu'ils
ont faites ? Jamais !
Léandre : je reconnais
bien là l'opportunisme de ton mouvement droitier, mettre un bulletin
de vote d'un parti austéritaire et policier ? A condition
d'écrire dessus « Macron démission » pourquoi pas...
Gros Bébert : j'me suis
juré de plus jamais voter pour ces socio-traitres. Jamais je me
compromettrai avec eux !
Voici l'aspect quelque peu comique des
postures antifascistes purement verbales de nombreux curés rouges.
Ils gueulent à longueur temps qu'ils luttent contre l'extrême-droite
et le jour où ils ont l'opportunité de leur barrer la route, ils
ont pu envie…
Je vis dans la région
Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon où les résultats du premier
tour des régionales ont donné : Louis Aliot pour le FN à
33 %, suivies de Carole Delga PS 24 %, Dominique Reynié
pour la droite 18 % et Gérard Onesta, pour lequel j'ai fait
campagne, Front de Gauche EELV Occitanistes etc à 10 %.
J'avoue que lundi matin j'étais sur la
position du personnage de Léandre : ne pas cautionner la
politique du PS et mettre un bulletin avec un slogan politique écrit
dessus dans l'urne. Je l'ai fait savoir sur les réseaux sociaux. Et
puis j'ai réexaminer les résultats. Si tous mes camarades
m'imitaient, le FN pourrait prendre les commandes de la région.
Passé l'étourdissement de savoir que nos votes étaient
déterminants (avouons que ça n'arrive pas tous les jours), je me
suis interrogé. Est-ce qu'une mandature d'extrême-droite serait
pire qu'une mandature sociale-libérale ? Après tout, je suis
un homme blanc, majeur, hétérosexuel, de classe moyenne comme à
peu près (à la louche) 75% des gauchistes de ce pays. Si je me fais
discret, je ne serai pas la première cible de l'extrême-droite
normalisée. Sauf que tout le monde n'a pas le même profil social
que moi. Si j'étais prêt à prendre des risques pour conserver une
pureté politique, pourquoi devrais-je entraîner avec moi des
catégories de populations (femmes, homosexuels, immigrés, chômeurs,
artistes...) qui n'ont rien demandé et qui seraient bien plus
menacés que moi ?
J'ai donc changé de position (et cela
correspondait à la position de ma liste) et je l'ai à nouveau fait
savoir sur les réseaux sociaux. Réseaux sociaux qui, du côté des
militants de gauche, s'étaient transformés -une fois de plus – en
un délicat mélange entre une discussion de salon et... LA GUERRE DU
VIETNAM ! Évidement j'ai sauté dans la mêlée générale et
j'ai repris les polémiques avec les curés rouges mais néanmoins
camarades.
Deux choses me gênent chez certains.
D'abord leur ignorance, vraie ou simulée, de ce qu'est
l'extrême-droite et de son rapport au pouvoir. S'il y a bien un
courant qui utilise le « by any means necessary »
c'est celui des fachos. Mensonges, calomnies, manipulations sont déjà
des pratiques classiques du clan Le Pen. Quand le rapport de force
leur devient très favorable, ils peuvent y ajouter le meurtre.
Cette ignorance peut se réparer en lisant quelques bouquins ou en
voyageant dans des pays dirigés par l'extrême-droite comme la
Russie ou Israël (deux modèles pour le FN, c'est eux qui le
disent).
Ensuite c'est l'abstraction que font
les militants révolutionnaires des difficultés que vont rencontrer
les minorités et les classes populaires sous une mandature
d'extrême-droite. Oui, les plus faibles vont en chier, des assos
vont fermer, des aides vont être supprimées, des personnels de
collectivités vont être harcelés. Sur ces questions les camarades
qui ne voteront pas demain ne me répondent pas. Ils préfèrent me
faire le bilan du PS (même si je suis pourtant d'accord avec eux) et
me parler de politiques-fictions où le FN s'écroulerait en quelques
mois, incapable qu'il serait de gérer des collectivités. Même si
je croyais à cette fable, je n'irai pas sacrifier les plus
vulnérables pour le plaisir d'avoir raison.
Alors oui, j'ai envoyé des fions toute
la semaine à mes amis gauchistes, je me suis parfois énervé et
j'en ai énervés quelques-uns. J'aurai pas dû. Car nous sommes tous
sonnés, on avait beau s'y attendre, c'est comme un coup de poing
dans la gueule, on est sous le choc, on tente quand même de se
relever et de chercher une parade en urgence mais on a des acouphènes
dans les oreilles et des mouches lumineuses devant les yeux. Chacun
fera ce qui lui semble le plus juste. Il faudrait seulement éviter
de se diviser encore plus, en raison des nombreux combats qui nous
attendent, quelque soit le résultat de dimanche.
eux au moins, ils font ça pour s'amuser |
PS : cette analyse est valable
pour ma région, même si ça nous écorche la gueule de faire ne
serait-ce qu'une infime nuance entre PS de l’État d'Urgence et FN.
Ailleurs, et notamment lorsque le choix doit se faire entre FN et
droite décomplexée, ben...désolé vous êtes foutu...
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