On l’avoue,
l’appel des gilets jaunes a d’abord suscité chez nous un
agacement certain : comment des individus pouvaient-ils se
mobiliser pour un produit polluant, le diesel, alors que les cortèges
pour la défense des services publiques, le climat ou pour nos
salaires sont trop souvent clairsemés ? On a d’abord ricané
des messages maladroits et naïfs de certains, ironisant sur un
nouvel engagement virtuel aux revendications déconnectées des
enjeux climatiques. Bref, on a été à deux doigts de faire nos
curés rouges.
Puis, une fois de
plus, c’est le mépris affiché de certains de nos camarades envers
le sujet, plutôt que le sujet lui-même, qui nous a convaincu de
modifier notre approche de cet événement. On en a vu utiliser de
faux profils pour troller les premiers groupes de gilets jaunes en
orthographiant volontairement mal leur propos, c’était gênant.
Qu’aurait
fait François Ruffin dans notre situation ?
Nous n’avons pas
mis de gilet jaune mais nous sommes allés sur des points de blocage.
Pour une fois nous avons fermés nos grandes gueules de gauchistes
et nous avons écouté les participants. Muni d’un micro, nous
avons interviewé une douzaine de personnes, prises au hasard, pour le compte d’une radio locale.
Nous avons pu parler avec des retraités, des artisans, des salariés d’entreprises privées, surtout des gens non engagés politiquement. C’est un public que nous côtoyons habituellement peu. Le 17 novembre en province l’ambiance était bonne enfant. Les gilets jaunes laissaient passer les ambulances, les infirmières et les voitures avec de jeunes enfants à bord. Aucun signe politique ou syndical n’étaient visibles bien entendu mais des banderoles et pancartes dénonçaient l’injustice des taxes. Nous avons vu un, peut-être deux drapeaux tricolores, on a perçu le début d’une Marseillaise mais on a aussi entendu dans des sonos On lâche rien d’HK et les Saltimbanks, Antisocial de Trust et Cayenne de Parabellum qui appartiennent clairement au folklore de gauche.
La première
impression qui se dégage de ces entretiens, c’est un profond
ressentiment d’injustice. Les manifestants ont l’impression, une
fois de plus, de s’être fait arnaquer, cette fois-ci avec le
diesel. On les a incité à acheter ce type de véhicule pour être
ensuite taxés sur une dépense qui, pour beaucoup, est
incompressible. Tous, et nous insistons bien là-dessus, tous les
gens rencontrés, interrogés au hasard, tous nous ont soutenu que
les plus riches pouvaient être taxés avant eux. Les riches,
individus ou entreprises, pas les immigrés ou les chômeurs, les
riches. Certains reprenaient le slogan de François Ruffin « Rend
l’ISF d’abord ». Personne n’était contre l’écologie.
Si on a rencontré quelques climato-sceptiques, la plupart étaient
d’accord d’agir pour la planète, mais pas en étant sanctionné.
Nous sommes
conscient de n’avoir vu qu’un infime échantillon de la
mobilisation. Nous pensons aussi que les gilets jaunes sont
différents d’une région à l’autre, tant dans leur sociologie
que dans la hiérarchie de leurs revendications prioritaires. Le pire
côtoient le meilleur. Il va des fils de putes qui dénoncent des
migrants à Flixecourt jusqu’à la haie d’honneur faite par les
gilets jaunes au cortège contre les violences faites aux femmes à
Montpellier. En fait ceux-ci veulent abandonner les étiquettes
politiques mais les clivages se reforment naturellement. On retrouve
une aile gauche qui veut rétablir l’ISF et une aile droite qui
veut une politique de reconduite aux frontières plus efficace.
Nous sommes
également conscient que c’est un mouvement qu’on nous survend.
Huit mille personnes en manif à Paris le 24 novembre? C’est pas
énorme au regard de ce que peuvent mobiliser les syndicats :le
31 mars 2016 160 000 personnes défilaient à Paris contre la loi
Travail (selon les organisateurs, m’enfin quand même!)
Cependant nous
sommes convaincus que c’est un public compatible avec les
propositions qu’ont exprimé plusieurs syndicats et partis de
gauche, résumé par l’appel des « gilets
verts » : développement et gratuité des transports
en commun, réouverture des petites lignes SNCF, taxation de
marchandises aérien et maritime, développement des circuits courts,
captation de l’évasion fiscale pour financer une transition
sociale et écologique…
A
quoi bon arborer ses médailles d’antifascisme dans des milieux où
il n’y a pas de fachos ?
Quel gâchis alors
de voir une fois de plus l’aristocratie militante faire la
fine bouche sur cette mobilisation. Oui il y a des fachos dans les
rassemblements (on en a croisé) mais pas plus que ce qu’ils
représentent ailleurs. Ce sont les militants politiques de gauche
qui manquent à l’appel. Les gilets jaunes sont un terrain en
friche et au prétexte qu’il y a des mauvaises herbes, les
révolutionnaires puritains refusent de l’investir. C’est
pourtant une ligne de front, c’est là qu’il faudrait pousser les
revendications de justice sociale, de lutte des classes, c’est là
qu’il faudrait faire refluer les expressions de racisme et
d’homophobie.
Ou quand Nuit Debout
rencontrerait les Gilets Jaunes… à condition de ne mépriser
personne.
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