Quelque part dans une bourgade côtière
de la Francie, aux environs de l'an 900. Deux hommes,
Erlendur-le-penseur et Varg-le-fougeux, sont attablés dans une
auberge. Malgré le fait qu'ils soient les seuls à parler et
comprendre le norrois, inconsciemment, ils échangent à voix basse.
Ces deux hommes sont des « hommes du nord », les fameux
vikings, mais ce soir, aucun attribut guerrier ne se laisse deviner.
Erlendur et Varg font partie d'une expédition commerciale. Ils
longent les côtes du continent pour vendre de l'ambre, des fourrures
et du bois. Accessoirement, ils étudient aussi les régions
traversées : ressources, accessibilités et surtout systèmes
de défense. L'information étant une marchandise comme une autre,
les éléments intéressants seront revendus aux Jarls danois pour de
futures expéditions de pillages. Mais ces dernières semaines, ces
récoltes sont pauvres.
Varg : beuuurk ! Mais
avec quoi ils le font leur cidre ? de la pisse d’âne
fermentée ? Ils ont vraiment rien pour eux ces crevards de
francs !
Erlendur : il est vrai que
les ressources de ce pays sont quelque peu … restreintes. Ce qui
n'arrange pas nos affaires.
Varg: Quelque peu restreintes ?
C'est mort oui ! Tout pue la misère dans ce bled ! Regarde
ces connards autour de nous comment qu'ils sont maigres ! Porter
des objets en métal ça les essoufflerait ! Un raid ici, à
tout casser, ça rapporterait un demi-sac de grains et quelques
poules malades... parce que moi j'embarque pas leur picole !
Erlendur : reste la bâtisse
qu'on a aperçu sur la côte, à deux lieues d'ici.
Varg : mouais... faudrait
voir...
L'aubergiste s'est
approché de nos deux compères. Ayant flairé des clients fortunés,
il tente de les retenir en posant d'autorité un nouveau pichet de
cidre sur la table.
L'aubergiste :
cadeau de la maison ! Tout va comme vous voulez, messieurs les
touristes ? Est-ce que je peux vous être utile à quelque
chose ?
Erlendur lève son
broc plusieurs fois en direction de l'aubergiste, mais sans jamais le
porter à sa bouche.
Erlendur parlant
en franc : merci pour ce vigoureux breuvage. Mon ami me disait
tout le bien qu'il en pensait. Allez Varg ! Fait honneur à
notre hôte ! Cul sec ! Varg avale le cidre en laissant
échapper des larmes. Puisque vous nous proposez votre aide, vous
allez arbitrer notre différent. Mon camarade prétend que la bâtisse
au nord du village est une garnison, moi je pense que c'est une ferme
fortifiée, qui de nous deux a raison ?
L'aubergiste :
aucun d'entre vous ! Vous devez parler du couvent.
Erlendur :
et qu'est-ce donc qu'un Kou-Ven ?
L'aubergiste bombant
le torse : c'est le lieu sacré où reposent les reliques de
Saint-Léon, tué d'un coup de pieu par le diable lui-même. Ses
ossements sont désormais gardés dans un merveilleux coffre incrusté
d'or et de diamants.
Les deux vikings se
regardent, soudain plus attentif.
Erlendur :
et... hum !... les habitants du …. Kou-Ven seraient-ils
intéressés par la venue de deux honnêtes commerçants ?
Pensez-vous qu'ils auraient quelques piécettes à troquer contre des
produits de qualité garantie ?
L'aubergiste
hilare : des piécettes ? On voit que vous n'êtes
pas d'ici ! Sachez messieurs que le couvent de Saint-Léon
recèle le plus grand trésor de la région ! Tout homme qui en
a les moyens rachète ses péchés en donnant de l'or. Mais ne vous
faites pas d'espoir, cet or n'est plus en circulation, il est
désormais pour Notre Seigneur Jésus.
Varg :
nomdedieudenomdedieudenomdedieu !
Erlendur :
mais un tel trésor doit être sous bonne garde je présume ?
L'aubergiste :
évidement ! Il est sous la protection des nonnes.
Erlendur :
des nonnes ?
L'aubergiste :
des nonnes. Des religieuses, une quarantaine de femmes. Ça va des
novices qui ont seize ans jusqu'à la mère supérieure, 60 ans cette
année.
Erlendur :
serait-ce des guerrières surentraînées ? Des porteuses de
boucliers, des skjalmös comme on dit chez nous ?
L'aubergiste :
non ! La violence est bannie ! Elles ont fait vœux de
chasteté et de pauvreté... mais leurs prières sont très
puissantes !
Varg :
par la pine de fer d'Odin ! Erlendur lui donne des coups de
pieds sous la table.
L'aubergiste :
… sans parler de leurs connaissances des textes sacrés, elles sont
incollables pour vous justifier la consubstantialité du Père
et du Fils...
Erlendur : voui voui
voui... mais mettons que des gens mal intentionnés veuillent quand
même s'en prendre aux richesses du Kou-Ven – on voit de ces choses
par les temps qui courent -il y a bien une garnison à proximité,
prête à intervenir ?
L'aubergiste : Pas la
peine puisque je vous dis qu 'elles prient ! C'est
IM-PO-SSIBLE d'attaquer le couvent! Un homme assez fou pour le faire
serait aussitôt excommunié par le Pape, banni de l’Église !
Vous vous rendez compte ?
Erlendur : oh ben oui
alors... merci pour tous ces éclaircissements mon brave, faites donc
porter un tonneau de ce... délicieux cidre aux hommes restés sur
notre bateau.
L'aubergiste
s'éloigne, ravi de son affaire. Erlendur se retourne vers son
compagnon qui dissimule mal son excitation.
Erlendur :
si je résume calmement la situation, nous avons un bâtiment isolé,
plein à craquer d'or, occupé par des femmes vierges désarmées...
Varg :
quand on va raconter ça aux copains, on va pas pouvoir les tenir. On
y va s'te plaît ! S'te plaît ! S'te plait !
Erlendur se passe
la main sur la barbe, pensif. Il soupire et reprend :
Erlendur :
Pas d'alcool pour Gunnar et Roddrik, ce soir c'est eux qui conduiront
le drakkar. On sort les haches de sous les bancs de rames et on va
rendre visite à ces nanas qui sont si fortes en textes sacrés !
À suivre...
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