Le navire
d'Erlendur s'éloigne de la côte. Au loin on aperçoit d'épaisses
fumées s'élevant de l'endroit où se situe le couvant. L'incendie
n'est pas un acte gratuit, c'est une vieille technique de pillards :
tandis que les autochtones s'empressent de lutter contre les dégâts
du feu, personne ne s’occupe de poursuivre les responsables.
Les hommes rament
vigoureusement, tout surpris encore de la facilité avec laquelle ils
se sont emparés des richesses du couvent. En plus d'or et d'argent,
les hommes du nord rapportent des victuailles et quelques tonneaux de
vin. Un groupe de nonnes, assises entre les bancs de rames, figurent
également au butin. Avec d'autres vêtements que ces austères
bures, on en tirera un bon prix comme esclaves de maison. Pour le
moment, les vikings, restés de grands enfants, leurs chantent des
chansons paillardes apprises dans les ports de Francie.
Erlendur-le-penseur
et Varg-le-fougueux se sont installés à la poupe du langskip.
Erlendur s'est approprié un crucifix en or. Mis à l'envers en
pendentif, cela fait un très joli Marteau de Thor. Varg, quelque peu
éméché, sirote du vin dans un calice incrusté de gemmes.
Varg :
sans déconner ! J'ai jamais vu un raid aussi facile que
celui-là ! Au moins quand on attaque un village, les bouseux
prennent la peine de courir dans tous les sens. Ici rien ! Une
fois la porte défoncée, les gonzesses étaient à genoux les mains
jointes à chanter des trucs en latin. Y en a qu'ont résisté de ton
côté ?
Erlendur :
je sais pas si on peut appeler ça « résister », y a une
vieille qui m'a jeté des gouttes d'eau avec un goupillon, j'ai pas
compris...
Varg :
on a beau être riche, c'est pas avec ces faits d'armes qu'on ira au
Valhalla.
Varg se penche vers
une nonne un peu plus âgée que les autres, qui marmonne des prières
depuis le départ du couvent.
Varg : ta
gueule la vioque ! T'en a pas marre d'invoquer un dieu qui t'a
pas défendue ! Comment on peut encore être chrétien de nos
jours ?
Sœur
Marie-Arlette : je suis
chrétienne depuis mon baptême, la vérité m'a été révélée, ce
crucifix que je porte jour et nuit en atteste. Si vous êtes trop
brutes pour comprendre qu'il n'y a qu'un Dieu unique, tant pis pour
vous, vous brûlerez en enfer !
Varg
pouffant:
qu'est-ce que c'est que ce charabia ?
Sœur
Marie-Arlette : comment
osez-vous rire après le sacrilège que vous venez de commettre ?
Vous avez volé l'or que de braves chrétiens avaient épargnés
après de longues années de labeur pour racheter leurs péchés. La
souffrance de votre prochain ne vous émeut pas ? Notre Église,
elle, est miséricordieuse !
Varg : tu
parles ! L'or stocké dans ton temple ne servait à rien. Il
n'avait aucune valeur. Nous avec ça, nous allons acheter des armes,
du tissus et des lingots d'argent. Et on va les acheter à tes braves
chrétiens francs et saxons. Donc ton or va circuler à nouveau, donc
ton pays s'enrichira. Grâce à ton dieu ? Non, grâce à bibi !
Sœur
Marie-Arlette : ce qui est
vénal est diabolique, c'est écrit dans la Bible. Vous devriez la
lire au lieu de vous enivrer, il n'est peut-être pas trop tard pour
sauver votre âme !
Varg :
ça me servirait à quoi? Moi je suis riche, toi t'es moche, triste
et pauvre !
Sœur
Marie-Arlette : j'ai fait
vœux de pauvreté. J'ai une vie riche et cela vaut mieux qu'une vie
de riche.
Varg :
tu doutes jamais toi ?
Sœur
Marie-Arlette : non car je
sais que j'ai raison. Peu importe ce qu'il va advenir de moi. Qu'il
soit marqué sur ma tombe que « toute ma vie j'ai eu la foi,
même si les barbares l'ignorent ». Le royaume de Dieu sera un
jour instauré sur Terre. Ce sera pour votre bien, même si vous ne
le savez pas. Jésus est notre sauveur.
Varg
se tape sur les cuisses en riant à gorge déployée devant
l'inflexibilité
de la religieuse. Elle lui rappelle sa vieille tante constipée.
Amusé, Erlendur a suivi la conversation. Curieux, il veux encore
éprouver le fanatisme de cette bigote.
Erlendur :
Jésus ? Combien de cavalerie lourde ?
Sœur
Marie-Arlette est brièvement déstabilisée par cette
association entre détachement spirituel et pragmatisme militaire.
Cela ne rentre pas
dans son schéma de pensée. Elle réfléchit à toute vitesse pour
trouver une citation de la Bible propre à embrouiller ce païen.
Elle va répondre lorsqu'une toute jeune nonne assise à ses côtés
lui coupe la parole :
La jeune sœur :
on a pas besoin de cavalerie
lourde, on aura bientôt la vôtre. Si vous êtes pas la moitié de
deux abrutis, vous viendrez d'ici peu manger dans la main de nos
évêques.
à suivre …
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