par GH
La parution du livre La Fachosphère et sa couverture médiatique ont déclenché chez moi un désagréable flasback me renvoyant à mes premières années militantes. L'enquête des journalistes de Libé et des Inrock, sous-titrée « Comment l'extrême-droite remporte la bataille du net » me rappelle comment moi et les autres militants des groupes gauchistes que je fréquentait à la fin des années 1990/ début 2000, avons abordé à la fois internet et l'extrême-droite. Connaissant l'évolution politique de ces vingt dernières années, j'ai comme un goût aigre et franchement caca-beurk qui me reste dans la gorge.
Certes je ne
regrette pas mes engagements de l'époque. A partir de 18 ans, et
durant les dix années qui ont suivies, j'ai traversé un univers
passionné, furieux et riche, taré pour le meilleur comme pour le
pire. Mais qu'est-ce qu'on était cons !
Notre conception du
militantisme s'inspirait des récits des générations précédentes
et de la littérature s'y rapportant. Nous fantasmions pêle-mêle
les communards de 1870, les bolchéviks de 1917, la guerre d'Espagne,
l'age d'or du PCF municipal et les groupes gauchistes des années
1960-70... autant dire qu'internet n'entrait pas dans notre schéma
de pensée.
Nous
prétendions être des « militants de terrain ».
Distribuer des tracts tôt le matin (pour montrer notre vaillance au
travail), tenir des stands ou des permanences en journée (où on ne
foutait pas grand chose) et coller des affiches la nuit en mode
commando (sur les campus où on ne risquait rien), tel était notre
''terrain''. Ceux qui adoptaient cet emploi du temps en y ajoutant de
temps à autre des postures de tribuns d'amphithéâtres étudiants,
ceux-là avaient le droit au grade aristocratique de « vrais
militants » ou « militants de terrain ». A
l'opposé, il y avait d'une part « les bureaucrates »,
qui faisaient finalement le même travail que nous, mais dans des orga
plus étoffées et surtout plus modérées et d'autre part « ceux
qui militaient sur internet ». « Celui-ci, il
milite sur internet »
était une sentence déclamée avec le plus grand mépris et la plus
grande condescendance dont nous étions capable. Puisqu'internet
était du « virtuel », aucun travail militant digne de ce
nom ne pouvait à nos yeux avoir un quelconque impact sur « le
terrain ». Qu'est-ce qu'on était cons !
Alors
que le Front National a été le premier parti politique à avoir son
site internet, dès 1996, comme le racontent les auteurs de La
Fachosphère, au début des
années 2000, nous éditions encore des fanzines sur papier. Objets
généralement bien écrit et joliment mis en page avec toute
l'adresse et la foi du petit artisan, nous en étions très fiers...
et nous les imprimions à deux cent exemplaires. Et lorsque, enfin,
nous avons créé des pages web... c'était uniquement pour être un
support publicitaire pour nos fanzines.
« Nous
n'avons rien à craindre d'eux -en
parlant de groupuscules facho- ils se sont réfugiés sur
internet » est une phrase
que j'ai certainement prononcée à cette époque. De toute façon,
les fachos on ne les croisait pas et on ne les combattait pas. Nous
étions bien trop occupés à nous affronter entre groupuscules
gauchistes ou à harceler les organisations dites
« sociale-traîtres ». Si certains bureaucrates
méritaient effectivement de se faire mettre le nez dans leurs
magouilles, nous ne faisions aucun discernement dans leurs rangs.
Combien de jeunes sincèrement de gauche qui, pour avoir voulu un
jour rendre service en distribuant un tract des MJS ou de l'Unef,
avons-nous définitivement écœuré de la politique en les traitant
comme des moins que rien ? Nous urinions sur leurs locaux, nous
y balancions à l'intérieur du melon pourri (et même une fois un
crâne de chèvre). Quels résultats espérions-nous ? Combien
également de jeunes de notre bord, qui ne partageaient pas nos
délires, se sont éclipsés sur la pointe des pieds ? « Ce
ne sont pas des militants de terrain » décrétions-nous.
Qu'est-ce qu'on était cons !
Néanmoins,
petit à petit, certains d'entre nous ont commencé à prendre
conscience de l'inefficacité de nos comportements et du vide sidéral
de nos folklores. Un soir de concert, tandis que nous pogotions le
poing levé en beuglant des slogans en espagnol pour faire la
démonstration à la fois de notre antifascisme et de notre virilité,
un militant plus lucide que les autres s'est exclamé près de moi :
« Et pendant ce temps-là, Unité Radicale organise
des camps d'entraînement !»
Avec le
développement des réseaux sociaux, nous avons été de plus en plus
surpris de voir des proches ou des sympathisants partager en toute
bonne foi des publications d'extrême-droite. La gueule de bois a été
complète et sévère lorsque nous sommes allés nous-mêmes voir les
vidéos postées par la fachosphère et que nous avons découvert le
nombre hallucinant de vues. Nous perdions la bataille des idées
depuis des années et on s'en rendait compte seulement maintenant.
Qu'est-ce qu'on avait été cons !
Depuis, on se
réorganise, nous changeons nos pratiques et notre vocabulaire. On
s'ouvre à d'autres courants politiques, on s'est fâché avec
d’indécrottables curés rouges, on tâtonne, on copie, on
expérimente... Ce qui me désole, c'est que beaucoup de militants de
gauche continuent à se complaire dans ces traditions débiles et
préfèrent se foutre sur la gueule avec leurs voisins politiques ou
la tendance d'à côté, plutôt que de trouver des solutions pour
combattre nos vrais ennemis. Leur utilisation d'internet se résume
alors à des polémiques sans fin, compréhensible seulement par eux.
C'est un flagrant aveu de leur impuissance à peser sur le réel. Le
pire, c'est que beaucoup n'ont même plus l'excuse de l'inconsciente
jeunesse.
Qu'est-ce qu'ils
sont cons !
un futur anarcho-droitier est à droite sur cette photo (évidement) |
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