Une tasse de café à la main, Patrick
retourne en claudiquant s’asseoir à son bureau. Tandis que son
ordinateur charge ses mises à jour, le vieil homme rallume un
cigarillo abonné hier soir dans le cendrier. C'est l'heure de sa
veille informationnelle. Il consulte ses mails, lit les derniers
commentaires de ses différents blogs, survole les nouvelles
notifications des sites inscrits dans ses favoris.
C'est encore le dossier sur la Syrie
qui occupe la plus grande partie de son activité. Quelques
internautes lui donnent toujours du fil à retordre en postant sur sa
page facebook des récits de réfugiers ou des liens vers Amnesty
International, le tout
accompagné d'insultes variées. Rien qui ne puisse le décourager,
sa technique étant de noyer ces posts sous une pluie de commentaires
longs comme le bras, mais cela va lui prendre du temps. Puis Patrick
consulte le nombre de vues sur ses sites et le nombre de partages et
de retweet de ses propos et le sourire lui revient.
Quel chemin
parcouru depuis tout ce temps ! Sa quête d'un auditoire avait
été longue. Il repense à ses premières années de militantisme.
Sa main se porte inconsciemment sur son oreille déchirée lors d'une
raclée reçue au début des années cinquante par des brutes qui se prétendaient communistes. Puis son regard s'arrête sur sa canne
posée près de lui. Elle lui est nécessaire depuis que des gauchistes lui ont cassé un genou après 68. Ce sont eux les vrais
nazis, d'ailleurs 80% des collabos venaient de la gauche. De nombreux
sites ont d'ailleurs repris sa théorie, élaborée il y a quelques
années par vengeance. Beau succès.
Mais le succès
n'avait pas toujours été là. Après avoir été excommunié de
tous les réseaux de gauche, il avait tenté sa chance à
l'extrême-droite. Les militants de ce bord écoutaient avec intérêt
ses théories. Cependant il n'était pas de taille dans les conflits
d'égo avec les chefs de ces groupuscules. Les années 80 avaient été
une traversée du désert pour lui. Il ne trouvait d'auditoire
qu'auprès de tristes sectes millénaristes ou d'associations
d'ufologues. Tous les médias étaient tenus par les francs-maçons
ou les banquiers de la City. Il en était venu à imprimer lui-même
ses tracts et journaux qu'il allait distribuer devant les sorties du
métro, partageant l'espace avec les témoins de Jéhovah, les seuls
qui toléraient sa présence. Les passants l'ignoraient, se moquaient
de lui ou exprimaient une commisération humiliante. Patrick avait
fait une tentative de suicide en 1993.
Puis internet était
apparu. Patrick y avait d'abord vu l'intérêt de pouvoir s'exprimer
sans être en face d'interlocuteurs. Il s'était pourtant vite rendu
compte de la formidable caisse de résonance de ce nouvel outil.
L'espace était alors vierge, libre d'être colonisé par les
premiers venus et Patrick était de ceux-là. Il pouvait enfin
s'épanouir. Il n'informait pas, il créait l'information. Son plus
grand plaisir était de prendre des faits, de les déformer, les
passer à travers divers prismes, les raccourcis ou les associer avec
d'autres événements indépendants. Ses créations monstrueuses
prenaient alors vie car elles étaient lues, partagées, commentées,
complétées.
De Milosevic à
Bachar-el-Assad, il reliait tous les combats contre l'Empire. Il
dressait des passerelles plus que branlantes entre Sankara et Kabila,
Che Guevarra et Pol Pot, Cuba et l'Iran...
Il se délectait
alors de voir les militants s'écharper à propos de ses thèses. A
travers des avatars neutres, il observait les divisions, le temps
perdu par les uns et les autres à vérifier ses assertions, les
débats se briser dans la cacophonie. Il voyait les plus naïfs
sombrer dans une paranoïa délirante qui l'impressionnait lui-même.
Bien avant cet age
d'or, des enfoirés comme Antoine, Jacques, Nico, l'Increvable,
avaient disparu corps et âmes dans les naufrages successifs de leurs
courants politiques. Patrick lui, se sentait immortel.
D'humeur enjouée,
il ouvrit une nouvelle page de publication : « ce n'est
pas parce que le président Poutine dit qu'il pleut, qu'il ne pleut
pas... »
2 commentaires:
Histoires amusante d'un personnage qui, pour être fictif, n'en est pas moins très vraisemblable.
Toutefois, quelle leçon en tirer ?
Comment les rendre inoffensifs ? Une éducation politique aux médias et à l'information est nécessaire. On a des idées en réserve qui seront bientôt publiées.
Merci pour le commentaire!
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