par Guillaume
Le deuxième souvenir se passe un an plus tard et est assez similaire au premier. J'ai changé d'établissement scolaire. Je bosse dans un lycée général et mon emploi du temps me confère la surveillance de l'internat la nuit du vendredi. Ça nous bouffe notre début de week-end mais c'est tranquille car il reste peu d'élèves. Je sors généralement le jeudi soir, je me couche vers 4-5 heures du matin, et me réveille à 14h. Ainsi quand j'embauche à 18h, je fais mon premier repas de la journée au réfectoire.
Le deuxième souvenir se passe un an plus tard et est assez similaire au premier. J'ai changé d'établissement scolaire. Je bosse dans un lycée général et mon emploi du temps me confère la surveillance de l'internat la nuit du vendredi. Ça nous bouffe notre début de week-end mais c'est tranquille car il reste peu d'élèves. Je sors généralement le jeudi soir, je me couche vers 4-5 heures du matin, et me réveille à 14h. Ainsi quand j'embauche à 18h, je fais mon premier repas de la journée au réfectoire.
Je mange avec deux collègues
surveillantes. Ce sont des Best Friends Forever. Cela fait des années
qu'elles sont en poste dans ce bahut. Elles se sont autoproclamées
depuis longtemps cheffes adjointes de la vie scolaire. Elles clament
à qui veut l'entendre qu'elles sont rebelles et contestataires mais
elles n'ont jamais fait un seul jour de grève.
Nous sommes vers la fin mai 2002. Le
mois qui vient de s'écouler a été bien chargé politiquement. BFF
1 s'adresse à BFF 2, faisant comme si je n'étais pas là :
- fallait pas être très très
malin pour pas voter Chirac au deuxième tour !
- oh oui alors ! T'imagine si l'extrême-droite avait gagné ? Ce serait la dictature maintenant !
- oh oui alors ! T'imagine si l'extrême-droite avait gagné ? Ce serait la dictature maintenant !
Elles savent ce que j'ai fait et dit
pendant deux semaines sur le campus. Je ne les ai pourtant pas vu en
AG. Avec mon syndicat de gauchistes, on y a défendu la ligne que peu
importe ce qu'on votera au deuxième tour, les idées racistes se
combattent qu'elles viennent du FN ou du PS... mais que pour notre part,
fallait pas nous chercher dans un bureau de vote au deuxième tour
des présidentielles.
Les deux pépettes continuent de tendre
des perches grossières : « Il faut savoir mettre ses
étiquettes politiques de côté pour sauver la démocratie, et puis
Chirac il a fait des trucs bien aussi quand on y pense... ».
Elles attendent que j'intervienne pour me faire la morale, pour me
prouver par a+b que c'est bien la preuve que les extrêmes se
rejoignent etc...
Là encore à quoi bon lutter ?
Pas de témoins à convaincre, les enjeux sont passés, mes collègues
ne veulent pas échanger, elles veulent m'enfoncer. Là encore
j'esquive, je souris poliment en hochant la tête et je reprend une
troisième fois des bolognaises pour caler ma fringale post-cuite.
Elles savaient que je savais qu'elles
savaient et elles comprirent par mes silences que j'avais
compris. Elles saisirent que je me foutais d'elles. Victoire sans
prononcer un mot !
Un curé rouge critiquerait sans doute
mon comportement, disant que chaque occasion doit être saisie de
défendre LA Cause, qu'il en va de notre crédibilité, qu'il faut
battre le fer tant qu'il est chaud … Pourtant, dans les deux cas
présentés, je m'imaginais tel le général Koutouzov reculant
stratégiquement devant l'avancée des troupes napoléoniennes.
Pourquoi se fatiguer à polémiquer avec un militant d'en face alors
que celui-ci peut s'avouer vaincu tout seul ?
Bien sûr qu'ouvrir sa gueule fait
partie des missions que se donnent les militants, on
en a parlé ici-même il y a fort longtemps. Encore faut-il que
ça serve à quelque chose. Parfois on peut se contenter d'un simple
« je ne suis pas d'accord » afin de poser les frontières
avec son collègue relou ou son beauf réac. Stanislas et les deux BFF
étaient droit dans leurs bottes. Il et elles connaissaient mes
positions. Peut-être que la suite de leurs vies aura ébranlé leurs
certitudes et alors seulement les discussions avec d'autres militants
de gauche les feront peut-être changer d'avis. Il et elles n'auront
pas eu le plaisir de renforcer leur sentiments de supériorité à
mon détriment.
Dans quinze jours je pars une semaine
en voyage scolaire avec un collègue qui vote Front National (une
idée de notre chef d'établissement qui est une grande blagueuse).
Il va y avoir beaucoup de silence.
Général Koutouzov 1745-1813 |
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