par RM
Le Courant Anarcho-Droitier étant une puissante pieuvre qui déploie ses tentacules sarcastiques aux quatre coins de notre beau pays, tous ses membres n’habitent pas au même endroit. On a bien pensé à se regrouper dans une seule et même joyeuse concentration, sorte de squat autogéré mais classieux où on écouterait du rocksteady toute la journée en buvant des alcools très rares et très chers et en disant du mal des gens, mais après mûre réflexion, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’une telle démarche, pour attirante qu’elle soit au premier abord, se mettrait sans doute en travers de menus détails, genre nos vies sociales, professionnelles et amoureuses.
Je ne vis donc pas au même endroit que GH, auteur (brillant) du précédent (et fantastique) article, et pour marri que j’en sois (qui ne rêverait pas de vivre une trépidante existence à Rodez, la ville qui ne dort jamais?), je dois me contenter de ma situation. Laquelle situation a tout de même quelques avantages, puisqu’elle me permet d’être en mesure de faire, moi aussi, un compte-rendu circonstancié et exhaustif de la réunion publique que Philippe Poutou, candidat aux signatures de maires de villages, et à terme, si tout va bien et que le temps le permet, à l’élection présidentielle d’avril prochain, a tenu à Pau, la riante bourgade où j’ai le bonheur d’habiter.
Je suis donc allé, en ce jeudi soir pluvieux de janvier, faire un tour au Complexe de la République, lieu central de toutes les sauteries militantes paloises. A l’instar de mon camarade, je dois avouer que ma motivation n’était pas optimale : si, contrairement à lui, je n’avais rien de mieux à foutre (je ne suis jamais allé en Palestine, et personne n’a le privilège de partager ma vie en ce moment), je redoutais tout de même le pire pour cette réunion publique, au vu de l’état du NPA au niveau national et de la côte de popularité quelque peu chancelante de notre candidat. J’ai donc été assez surpris – je l’admets – par le nombre de présents. Bon, certes, inutile de se mentir: l’essentiel du public était composé par le milieu militant palois, foisonnant à défaut d’être efficace, et bien peu de personnes non organisées ou non-sympathisantes étaient dans la salle. Quelques personnes attirées par l’affichage relativement intensif et assez réussi, sans doute, mais pour l’essentiel, nous avons eu droit aux têtes connues.
Évoquons brièvement les interventions, assez inégales. La première, faite par un membre du personnel de l’Université de Pau, était intéressante, mais peu enthousiasmante. On sentait très clairement le syndicaliste chevronné, et les explications, pour importantes qu’elles fussent, manquaient un peu de peps. Le détail technique est l’ennemi du discours politique, c’est vraiment très dommage, mais c’est comme ça. La deuxième, assénée sur un ton quasi-besancenesque par un militant du comité jeune, dont je me garderai bien de dire du mal vu qu’il est de ma famille, était, sans doute, la plus réussie. Le côté «saine colère», une certaine maîtrise (pas parfaite, mais ce garçon est encore jeune) des ficelles de la rhétorique, quelques bons mot, tout cela a produit le résultat voulu: faire passer le message en maintenant l’audience éveillée. La troisième avait pour sujet la précarité. Enfin, était censée avoir pour sujet la précarité. En effet, la militante qui l’a faite a légèrement évoqué sa situation personnelle de travailleuse précaire, avant de tourner à gauche, et d’évoquer en long, en large, en travers le rôle des élections et la nature du NPA. Était-ce vraiment ce qu’on lui demandait? Non. Mais, sans doute trop habituée au – ou ayant plus de goût pour – le débat interne et l’engueulade entre plateformes, la camarade n’a pu s’empêcher de tomber là-dedans. C’est bien dommage: on s’est fait chier, et beaucoup dans la salle se contrefoutaient de ce qu’elle racontait. Je vous laisse deviner pour quelle plateforme cette personne avait voté au congrès…
On en vient à l’intervention de Philippe Poutou. Ce serait mentir que de dire qu’il a les qualités d’un tribun, et on chercherait en vain la moindre trace de saillies jauresso-mélenchonesques dans sa performance, mais dans son style de simplicité, de «mec normal», on peut dire que l’exercice était assez réussi, et a assez agréablement surpris ceux qui, dans la salle, s’attendait au pire après l’avoir vu chez Ruquier (oui: un certain nombre de présents ne le connaissaient que comme ça, j’ai vérifié moi-même). Il ne constitue donc pas un candidat SI catastrophique que ça, même si ce n’est sans doute pas le meilleur que nous avions à notre disposition au moment du choix…
Pour finir, et puisqu’il faut bien se détendre, j’évoquerai le débat, le sacro-saint débat obligatoire dans nos réunions trop démocratiques de partout. Qui prend la parole dans un débat, lors d’une réunion politique publique? Les gens qui ont des choses à dire, et osent parler en public. Donc, pèle-mêle, les gauchistes, et les philosophes de bistro. A cet égard, nous avons eu droit à une saine alternance. Une moitié de surchauffés du bulbe émanant de divers groupuscules présents sur Pau, et expliquant par A+B qu’on était un peu des gros traîtres quand même puisque: on se présentait aux élections (qui sont le Mal), qu’on appellerait certainement à battre Sarkozy au second tour (et donc à voter Hollande), et on ne présentait pas au peuple un véritable programme révolutionnaire et socialiste, nous cachant veulement derrière des mesurettes réformistes, ordures que nous sommes (cette dernière remarque émanant du jeune leader charismatique de la
Jeunesse Communiste Marxiste Léniniste de Pau, qui prépare visiblement la révolution dans sa chambre avec ses quatre potes, j’ai hâte de voir ça). Et une moitié de philosophes, donc, qui nous ont demandé de leur expliquer les moindres détails de la société que nous voulions, ou qui nous ont expliqué que la lutte des classes, c’était trop agressif, et qu’il fallait que tout le monde se fasse des bisous pour construire un monde meilleur à grand coup de câlins.
En bref, et au-delà du jugement des performances oratoires de chacun (même si c’est important, dans une campagne), que constate-t-on? La même chose que ce que mon camarade GH a constaté dans
son bled paumé sa riante bourgade du Rouergue: nos réunions publiques sont toutes les mêmes, s’adressent (souvent malgré nous) à un public d’initiés et ont un impact qui se réduit aux comptes-rendus dans la presse du lendemain. Si notre camp politique (je dirais bien «si le NPA», mais j’attends pour ça de voir s’il passera le printemps, c’est tout sauf sûr) veut avoir un poids quelconque dans la vie politique et sociale, et faire avancer ses brillantes idées, sans doute va-t-il falloir changer deux ou trois trucs. C’est pas forcément gagné.