jeudi 18 août 2016

Où il est question de vikings cabotins, de nonnes militantes et de quelques autres élèments pseudo-historiques. 3/3

Le navire viking se rapproche à présent de la haute mer. Les hommes doivent opérer différentes manœuvres. Tandis que la plupart rangent les rames et obturent les trous de nage à l'aide de bouchons, d'autres relèvent l'espar afin de déployer la grande voile carrée.

Erlendur et Varg restent interdits quelques secondes devant l'assurance de la nonne qui vient de les interpeller. C'est une jeune beauté originaire des marches chrétiennes d'Ibérie. Erlendur reprend ses esprits le premier.

Erlendur : plaît-il ?

La jeune nonne, appelons-la Sœur Maria-Paola, prénom fort courant à l'époque, Sœur Maria-Paola donc, semble se rappeler qu'elle n'est qu'une otage. Elle reprend d'un ton moins autoritaire.

Sœur Maria-Paola : enfin...quand je dis «manger dans la main » c'est une image, vous serez pas obligés de le faire réellement... cela dit, embrasser la chevalière de l'évêque c'est plutôt bien vu.

Erlendur : et pourquoi devrions-nous faire ça ? Il désigne Sœur Marie-Arlette qui égrène son chapelet Pour ressembler à celle-ci ? Tu crois qu'elle fait envie ?

Sœur Maria-Paola qui oublie à nouveau sa position de captive et s'énerve: Mais non ! Faites pas attention à cette tarée ! Elle se croit encore à l'époque des premiers martyres.

Varg tout en parlant, il tente d'évaluer le vin restant à travers l'orifice du tonnelet : et pourquoi alors ? Odin, Thor, Locki et tous les autres sont des dieux moins exigeants que le seul que vous avez. Une chèvre égorgée par-ci, un banquet par-là et quelques crânes d'adversaires bien défoncés c'est tout ce qu'ils demandent. Vous, les hommages à rendre c'est tous les jours et en tirant la gueule. Si j'étais roi par-ici j'te ferai dégager tout ça...

Sœur Maria-Paola : parce que tu crois que c'est avec quelques chèvres que tu vas prendre le pouvoir ? Je dis pas que pour faire quelques coups ici ou là, vos groupuscules de guerriers c'est pas efficace, non. Pour occuper une place forte et rester une nuit debout à faire l'inventaire de ses richesses, vous vous en sortez pas mal, mais de là à pérenniser vos succès, c'est pas encore gagné !

Varg tout en parlant, à l'aide d'un corporal brodé, s'éponge le visage du vin qu'un ressac a propulsé hors du tonneau : on est peut-être pas nombreux mais chacun de nos hommes en vaut dix des vôtres...

Sœur Maria-Paola qui l'ignore et regarde Erlendur : ça veut prendre le pouvoir et ça n'a même pas d’Église ? Non mais à l'eau ! Oh hé les mecs ! Faudrait se réveiller, on sera bientôt en l'an mille !

Erlendur : si vous n'avez pas d'armée, vous avez quoi à nous proposer ?

Sœur Maria-Paola : l'hégémonie sur toutes les sociétés d'Europe, excusez du peu ! Chez vous, si un fjord égale un royaume, vos petits groupes de combattants y sont adaptés, mais chez nous c'est différent. Si vous voulez vraiment le pouvoir, faut s'en donner les moyens. Je vous parle pas d'occuper un lopin de terre ou une forteresse, je vous parle d’État. Ici, l’Église forme les cadres. L'éducation, la diffusion des informations et des idées, la gestion des patrimoines, ce sont les clercs qui gèrent tout ce bouzin. Soit vous passez encore mille ans à constituer une organisation qui puisse concurrencer la nôtre sur tous ces niveaux, soit vous vous emparez des bons outils. Et puis... elle désigne d'un coup de menton sœur Marie-Arlette on a une emprise pas dégueu sur les esprits des simples, des paysans, des artisans. J'vous garantie que c'est carrément plus facile de racketter les prolos en leur expliquant que c'est normal, Dieu le veut, plutôt qu'avec vos bateaux à tête de serpents...

Varg : de dragons... c'est des têtes de dragons. Il s'aperçoit que personne ne l'écoute. Jusqu'à présent je trouvais ça hyper badass mais je saurais pas dire pourquoi, depuis qu'elle parle, la gamine, j'me sens un peu con...

Soeur Maria-Paola : ...la tactique doit s'adapter aux situations réelles, peu importe le folklore des anciens, les textes sacrés ou les prières.

Erlendur-le-penseur est resté silencieux. Tout en se caressant la barbe, son regard se porte alternativement sur cette jeune nonne belle et perspicace, sur ses hommes robustes et énergiques et sur son crucifix inversé. Il soupire et reprend :

Erlendur : nous avons deux jours de navigation jusqu'à notre prochaine base, viens t’asseoir près de moi, chère... sœur, tu vas avoir le temps de développer tes idées. 
 


mercredi 17 août 2016

Où il est question de vikings cabotins, de nonnes militantes et de quelques autres élèments pseudo-historiques. 2/3

Le navire d'Erlendur s'éloigne de la côte. Au loin on aperçoit d'épaisses fumées s'élevant de l'endroit où se situe le couvant. L'incendie n'est pas un acte gratuit, c'est une vieille technique de pillards : tandis que les autochtones s'empressent de lutter contre les dégâts du feu, personne ne s’occupe de poursuivre les responsables.

Les hommes rament vigoureusement, tout surpris encore de la facilité avec laquelle ils se sont emparés des richesses du couvent. En plus d'or et d'argent, les hommes du nord rapportent des victuailles et quelques tonneaux de vin. Un groupe de nonnes, assises entre les bancs de rames, figurent également au butin. Avec d'autres vêtements que ces austères bures, on en tirera un bon prix comme esclaves de maison. Pour le moment, les vikings, restés de grands enfants, leurs chantent des chansons paillardes apprises dans les ports de Francie.

Erlendur-le-penseur et Varg-le-fougueux se sont installés à la poupe du langskip. Erlendur s'est approprié un crucifix en or. Mis à l'envers en pendentif, cela fait un très joli Marteau de Thor. Varg, quelque peu éméché, sirote du vin dans un calice incrusté de gemmes.

Varg : sans déconner ! J'ai jamais vu un raid aussi facile que celui-là ! Au moins quand on attaque un village, les bouseux prennent la peine de courir dans tous les sens. Ici rien ! Une fois la porte défoncée, les gonzesses étaient à genoux les mains jointes à chanter des trucs en latin. Y en a qu'ont résisté de ton côté ?

Erlendur : je sais pas si on peut appeler ça « résister », y a une vieille qui m'a jeté des gouttes d'eau avec un goupillon, j'ai pas compris...

Varg : on a beau être riche, c'est pas avec ces faits d'armes qu'on ira au Valhalla.

Varg se penche vers une nonne un peu plus âgée que les autres, qui marmonne des prières depuis le départ du couvent.

Varg : ta gueule la vioque ! T'en a pas marre d'invoquer un dieu qui t'a pas défendue ! Comment on peut encore être chrétien de nos jours ?

Sœur Marie-Arlette : je suis chrétienne depuis mon baptême, la vérité m'a été révélée, ce crucifix que je porte jour et nuit en atteste. Si vous êtes trop brutes pour comprendre qu'il n'y a qu'un Dieu unique, tant pis pour vous, vous brûlerez en enfer !

Varg pouffant: qu'est-ce que c'est que ce charabia ?

Sœur Marie-Arlette : comment osez-vous rire après le sacrilège que vous venez de commettre ? Vous avez volé l'or que de braves chrétiens avaient épargnés après de longues années de labeur pour racheter leurs péchés. La souffrance de votre prochain ne vous émeut pas ? Notre Église, elle, est miséricordieuse !

Varg : tu parles ! L'or stocké dans ton temple ne servait à rien. Il n'avait aucune valeur. Nous avec ça, nous allons acheter des armes, du tissus et des lingots d'argent. Et on va les acheter à tes braves chrétiens francs et saxons. Donc ton or va circuler à nouveau, donc ton pays s'enrichira. Grâce à ton dieu ? Non, grâce à bibi !

Sœur Marie-Arlette : ce qui est vénal est diabolique, c'est écrit dans la Bible. Vous devriez la lire au lieu de vous enivrer, il n'est peut-être pas trop tard pour sauver votre âme !

Varg : ça me servirait à quoi? Moi je suis riche, toi t'es moche, triste et pauvre !

Sœur Marie-Arlette : j'ai fait vœux de pauvreté. J'ai une vie riche et cela vaut mieux qu'une vie de riche.

Varg : tu doutes jamais toi ?

Sœur Marie-Arlette : non car je sais que j'ai raison. Peu importe ce qu'il va advenir de moi. Qu'il soit marqué sur ma tombe que « toute ma vie j'ai eu la foi, même si les barbares l'ignorent ». Le royaume de Dieu sera un jour instauré sur Terre. Ce sera pour votre bien, même si vous ne le savez pas. Jésus est notre sauveur.

Varg se tape sur les cuisses en riant à gorge déployée devant l'inflexibilité de la religieuse. Elle lui rappelle sa vieille tante constipée. Amusé, Erlendur a suivi la conversation. Curieux, il veux encore éprouver le fanatisme de cette bigote.

Erlendur : Jésus ? Combien de cavalerie lourde ?

Sœur Marie-Arlette est brièvement déstabilisée par cette association entre détachement spirituel et pragmatisme militaire. Cela ne rentre pas dans son schéma de pensée. Elle réfléchit à toute vitesse pour trouver une citation de la Bible propre à embrouiller ce païen. Elle va répondre lorsqu'une toute jeune nonne assise à ses côtés lui coupe la parole :

La jeune sœur : on a pas besoin de cavalerie lourde, on aura bientôt la vôtre. Si vous êtes pas la moitié de deux abrutis, vous viendrez d'ici peu manger dans la main de nos évêques.

à suivre …



mardi 16 août 2016

Où il est question de vikings cabotins, de nonnes militantes et de quelques autres élèments pseudo-historiques. 1/3

Quelque part dans une bourgade côtière de la Francie, aux environs de l'an 900. Deux hommes, Erlendur-le-penseur et Varg-le-fougeux, sont attablés dans une auberge. Malgré le fait qu'ils soient les seuls à parler et comprendre le norrois, inconsciemment, ils échangent à voix basse. Ces deux hommes sont des « hommes du nord », les fameux vikings, mais ce soir, aucun attribut guerrier ne se laisse deviner. Erlendur et Varg font partie d'une expédition commerciale. Ils longent les côtes du continent pour vendre de l'ambre, des fourrures et du bois. Accessoirement, ils étudient aussi les régions traversées : ressources, accessibilités et surtout systèmes de défense. L'information étant une marchandise comme une autre, les éléments intéressants seront revendus aux Jarls danois pour de futures expéditions de pillages. Mais ces dernières semaines, ces récoltes sont pauvres.

Varg : beuuurk ! Mais avec quoi ils le font leur cidre ? de la pisse d’âne fermentée ? Ils ont vraiment rien pour eux ces crevards de francs !

Erlendur : il est vrai que les ressources de ce pays sont quelque peu … restreintes. Ce qui n'arrange pas nos affaires.

Varg: Quelque peu restreintes ? C'est mort oui ! Tout pue la misère dans ce bled ! Regarde ces connards autour de nous comment qu'ils sont maigres ! Porter des objets en métal ça les essoufflerait ! Un raid ici, à tout casser, ça rapporterait un demi-sac de grains et quelques poules malades... parce que moi j'embarque pas leur picole !

Erlendur : reste la bâtisse qu'on a aperçu sur la côte, à deux lieues d'ici.

Varg : mouais... faudrait voir...

L'aubergiste s'est approché de nos deux compères. Ayant flairé des clients fortunés, il tente de les retenir en posant d'autorité un nouveau pichet de cidre sur la table.

L'aubergiste : cadeau de la maison ! Tout va comme vous voulez, messieurs les touristes ? Est-ce que je peux vous être utile à quelque chose ?

Erlendur lève son broc plusieurs fois en direction de l'aubergiste, mais sans jamais le porter à sa bouche.

Erlendur parlant en franc : merci pour ce vigoureux breuvage. Mon ami me disait tout le bien qu'il en pensait. Allez Varg ! Fait honneur à notre hôte ! Cul sec ! Varg avale le cidre en laissant échapper des larmes. Puisque vous nous proposez votre aide, vous allez arbitrer notre différent. Mon camarade prétend que la bâtisse au nord du village est une garnison, moi je pense que c'est une ferme fortifiée, qui de nous deux a raison ?

L'aubergiste : aucun d'entre vous ! Vous devez parler du couvent.

Erlendur : et qu'est-ce donc qu'un Kou-Ven ?

L'aubergiste bombant le torse : c'est le lieu sacré où reposent les reliques de Saint-Léon, tué d'un coup de pieu par le diable lui-même. Ses ossements sont désormais gardés dans un merveilleux coffre incrusté d'or et de diamants.

Les deux vikings se regardent, soudain plus attentif.

Erlendur : et... hum !... les habitants du …. Kou-Ven seraient-ils intéressés par la venue de deux honnêtes commerçants ? Pensez-vous qu'ils auraient quelques piécettes à troquer contre des produits de qualité garantie ?

L'aubergiste hilare : des piécettes ? On voit que vous n'êtes pas d'ici ! Sachez messieurs que le couvent de Saint-Léon recèle le plus grand trésor de la région ! Tout homme qui en a les moyens rachète ses péchés en donnant de l'or. Mais ne vous faites pas d'espoir, cet or n'est plus en circulation, il est désormais pour Notre Seigneur Jésus.

Varg : nomdedieudenomdedieudenomdedieu !

Erlendur : mais un tel trésor doit être sous bonne garde je présume ?

L'aubergiste : évidement ! Il est sous la protection des nonnes.

Erlendur : des nonnes ?

L'aubergiste : des nonnes. Des religieuses, une quarantaine de femmes. Ça va des novices qui ont seize ans jusqu'à la mère supérieure, 60 ans cette année.

Erlendur : serait-ce des guerrières surentraînées ? Des porteuses de boucliers, des skjalmös comme on dit chez nous ?

L'aubergiste : non ! La violence est bannie ! Elles ont fait vœux de chasteté et de pauvreté... mais leurs prières sont très puissantes !

Varg : par la pine de fer d'Odin ! Erlendur lui donne des coups de pieds sous la table.

L'aubergiste : … sans parler de leurs connaissances des textes sacrés, elles sont incollables pour vous justifier la consubstantialité du Père et du Fils...

Erlendur : voui voui voui... mais mettons que des gens mal intentionnés veuillent quand même s'en prendre aux richesses du Kou-Ven – on voit de ces choses par les temps qui courent -il y a bien une garnison à proximité, prête à intervenir ?

L'aubergiste : Pas la peine puisque je vous dis qu 'elles prient ! C'est IM-PO-SSIBLE d'attaquer le couvent! Un homme assez fou pour le faire serait aussitôt excommunié par le Pape, banni de l’Église ! Vous vous rendez compte ?

Erlendur : oh ben oui alors... merci pour tous ces éclaircissements mon brave, faites donc porter un tonneau de ce... délicieux cidre aux hommes restés sur notre bateau.

L'aubergiste s'éloigne, ravi de son affaire. Erlendur se retourne vers son compagnon qui dissimule mal son excitation.

Erlendur : si je résume calmement la situation, nous avons un bâtiment isolé, plein à craquer d'or, occupé par des femmes vierges désarmées...

Varg : quand on va raconter ça aux copains, on va pas pouvoir les tenir. On y va s'te plaît ! S'te plaît ! S'te plait !

Erlendur se passe la main sur la barbe, pensif. Il soupire et reprend :

Erlendur : Pas d'alcool pour Gunnar et Roddrik, ce soir c'est eux qui conduiront le drakkar. On sort les haches de sous les bancs de rames et on va rendre visite à ces nanas qui sont si fortes en textes sacrés !

À suivre...