vendredi 17 octobre 2014

Pas de panique

En ce moment, les informations sont pour le moins anxiogènes. Je ne parle pas d'Ebola ou des islamo-nazis de Daech, sur ces sujets je suis comme vous : j'assiste à leur évolution en regardant le Zapping, je m'en désole et je me ressers des pâtes. Je parle bien évidement de la situation politique de notre doux pays.

Le torchon vichyste d’Éric Zemmour est en tête des ventes en librairies, ayant dépassé les ventes du dernier Harlequin d'une ex-première dame encornée, c'est dire le niveau culturel des lecteurs français. Sur internet les vidéos de Soral et Dieudonné franchissent tranquillou les trois cent milles visites avec des pics à un million.

Marine Le Pen est à 43% de bonne opinion dans les sondages et le FN a fait son entrée au sénat. Le PS estime que sa seule chance de gagner la présidentielle de 2017 est de couper l'herbe sous le pied de la droite en appliquant le programme de celle-ci. Nous avons ainsi la « gauche » de gouvernement la plus à droite de l'histoire : ça tape sur les chômeurs, les roms, les immigrés, les musulmans...les syndicalistes et les fonctionnaires ne devraient pas tarder eux non-plus à se prendre une avoinée. Stratégie politique visiblement inefficace puisque Le Pen est donnée présente au second tour des présidentielles dans tous les cas de figure et même victorieuse face à Hollande.

La bataille culturelle semble à l'avantage de la droite borderline fasciste. L'esprit de solidarité reculerait. On intègre l'idée que le chômeur est responsable de sa situation. Les manifestations de masse sont celles des familles catholiques réactionnaires. A Calais des milices de citoyens se créent pour traquer du clandestin. Youpi tralala lalère...

Ainsi l'angoisse monte parmi les militants de gauche. Revivons-nous de nouvelles années 30 ? Serions-nous à la veille d'une prise de pouvoir par l'extrême-droite ? Doit-on quitter le pays tant qu'il est encore temps ?

Non, non et trois fois non. N'ayez aucune inquiétude, vous pouvez poursuivre une activité normale.

En effet, reprenons nos classiques. Feuilletons quelques pages de l'ami Léon Trotsky, maltraité par mon hémisphère droit lors du précédent billet, ou mieux encore Daniel Guérin dont la passionnante étude Fascisme et Grand Capital va bientôt reparaître aux éditions Libertalia. Que sait-on du fascisme ?

« C'est en dernier recours que les magnats de l'industrie lourde et les grands propriétaires fonciers encouragent financièrement et politiquement le développement du fascisme. Ils le font parce que leurs intérêts financiers et économiques sont menacés et que les démocraties libérales ne sont pas en mesure de les défendre. »

Pour paraphraser et compléter, les milieux d'affaires utilisent la carte du fascisme pour se protéger d'éventuelles menaces sur leurs intérêts. Cette menace serait celle d'une mobilisation sociale populaire visant à récupérer les richesses spoliées par le Capital. En gros la carte brune contre la carte rouge, plutôt Hitler que le Front Populaire, je ramasse mon point Godwin et je poursuis.

Or voyez-vous une menace rouge aujourd'hui en France ? Y aurait-il un début de frémissement de mobilisations sociales ? Lisez-vous de la peur dans les yeux de Gattaz ? Bien sûr que non.

Le Front de Gauche est à l'agonie. Le PCF tient absolument à conserver son titre de champion du monde du cul entre deux chaises et navigue dans un univers parallèle. J'ai ainsi rencontré le week end dernier des militants convaincus que Pierre Laurent seul dépasserait le score de Mélenchon aux prochaines présidentielles. Le PG s'enferme dans une posture de petits gardes rouges, posture efficace si cela marchait mais ça ne marche pas, je ramasse mon point La Palice et je poursuis. Philippe Poutou quitte le Comité Exécutif du NPA, fatigué de cet aréopage de curés rouges et autres aristocrates de gauche, parisiens de surcroît. Lutte Ouvrière continue à distribuer des tracts ronéotypés à l'entrée des usines par temps de pluie parce qu'ils ont toujours fait comme ça.

Vous voyez : tout va bien. Tant que nous nous focalisons sur nos petites querelles, tant que nous sommes convaincus que notre trou du cul est plus pur politiquement que celui de notre voisin, nous ne menaçons pas grand monde. Prenons donc bien soin de poursuivre la construction de nos petites divisions : intellos contre prolos, bobos contre beaufs, citoyens immaculés contre vilains militants politiques, LGBTI contre hétéronormés, ceux qui croient au ciel contre ceux qui n'y croient pas...

Inutile donc de convoquer un régime autoritaire, ni milices ni commissaires politiques. Patronat et bourgeoisie n'ont pas besoin du fascisme pour démolir un mouvement révolutionnaire, on le fait très bien nous même.

Notre médiocrité est peut-être bien la garantie de notre survie.

Le lapin de gauche