jeudi 7 avril 2016

Interview de Philippe Poutou

Philippe Poutou tenait une réunion publique à deux cent mètres de chez moi en février dernier. Il était donc dit que nous nous rencontrions... En vérité, j'ai d'abord cru que c'était Bill Murray mais le gars était trop souriant pour être l'acteur de Lost in Translation. Une fois ce malentendu dissipé, on a causé de sujets qui intéressent ce blog : les rapports entre militants, les façons de militer, le fonctionnement d'une orga, les formes de communications...

Ton départ du comité exécutif du NPA, en novembre 2014 n'est pas passé inaperçu. Ta lettre de démission s'est retrouvée dans Mediapart, était-elle destinée à être publique ?

Non. Elle a ''fuité''. Je l'ai envoyée à la liste du Conseil Politique National du NPA qui comporte une centaine de mail, elle a ensuite circulé parmi les militants. Quelqu'un a fini, peut-être sans mauvaise intention, par la passer à un journaliste. C'est comme ça, c'est pas non plus bien grave, on aime bien quand les journalistes s’occupent des conneries de l'UMP ou du PS, donc faut accepter que nos problèmes soient débattues publiquement. En soi c'est pas un vrai problème.

Dans cette lettre, tu disait que tu avais l'impression d'être un fantôme au sein du CE, que tu ne te sentais pas utile et tu reprochais aussi un manque de respect de certains camarades. Comment ça se traduisait par exemple ?

Le problème [de cette mauvaise ambiance] c'est le contexte politique et social qui est dur pour les organisations et les syndicats. On voit qu'on a pas trop la main, qu'on ne peut pas agir comme on veut, qu'on est marginalisé. Tout ça crée un contexte très particulier dans les organisations et ça a des conséquences, celles de détériorer les relations en interne. Il y a une sorte de résignation ou de désespérance qui se met en place et les combats que l'on ne peut mener à l'extérieur, on les mène à l'intérieur de l'orga. Du coup les relations entre militants se détériorent et moi, étant bordelais dans un milieu très parisien, je deviens l’élément extérieur à qui il est facile de répondre « t'as qu'à venir » alors que tous les autres sont sur place. Ces exemples datent d'il y a deux ans mais ça n'a pas beaucoup changé aujourd'hui.

A part être parisien, c'est quoi le profil d'un membre du CE du NPA ?

Je crois que c'est ''enseignement publique'' et puis vieillissant aussi. C'est un problème qu'on a depuis longtemps. On a beaucoup de jeunes dans l'organisation mais les cadres restent des anciens.

Ça fonctionnait mieux du temps de la LCR ?

Moi je ne peux pas comparer parce que je suis arrivé à la direction suite aux élections [présidentielles de 2012] mais je sais qu'il y avait déjà des situations difficiles en interne. Alors on peut penser que ça se dégrade à cause de la situation sociale et aussi parce qu'on est moins nombreux. Du coup les mauvaises relations entre certaines personnes apparaissent plus vite et de façon plus flagrante et pèsent plus sur l'organisation. C'est ce qui arrive quand un groupe rétrécit.

Tu racontes que le NPA subit aussi des ambitions personnelles. C'est quoi les ambitions personnelles quand on est au NPA ? Pas être élu sénateur ou député ?

L'ambition personnelle c'est pas forcément avoir des postes. Comme dans un syndicat ou une entreprise, on a des gens qui aiment bien jouer les petits chefs, même à un tout petit niveau, qui aiment décider à la place des autres et faire preuve d'autoritarisme. On pourrait espérer construire un parti à l'abri de ça, mais non, c'est comme partout. Alors demandons-nous comment on peut isoler ces défauts.

Justement, tu as des solutions pour corriger tout ça ?

Non, je n'en ai pas. Après on se dit que si jamais demain on arrive à revivre des mouvements sociaux, qu'on a ça comme aliments au quotidien, ça paraît logique que la vie interne progresse parce qu'on se libérera des conflits internes. De la même manière que dans une entreprise, on peut voir des conflits entre collègues, des jalousies entre les carrières des uns et des autres, les relations tendues avec les chefs, si un conflit social survient, ces conflits sont relégués au second plan. Des groupes et des liens collectifs de solidarité vont naître. Nous [le NPA] on est un peu dans cette situation là, ça dépend de l'extérieur. En attendant comment on fait ? En tout cas discuter de ça c'est compliqué.

Tu racontes que comme les autres porte-paroles, tu décides seul des déplacements que tu vas faire. C'est le cas ce soir ?

Oui, c'est les camarades qui me sollicitent pour venir dans leurs villes, je fais en fonction de mon emploi du temps. Ce n'est pas dramatique en soi parce que c'est mon boulot aussi. Mais c'est dommage qu'on ne puisse pas en discuter collectivement.

Ça veut peut-être dire que le CE te fait confiance ?

Non, c'est pas une marque de confiance, c'est une habitude qui a été prise. Chacun bosse dans son coin. C'est vrai que ce serait plus confortable si ça fonctionnait différemment. Il vaut mieux se le dire, on ne devrait pas fonctionner comme ça.

A quoi la direction du NPA devrait-elle servir, mise à part ça ?

Le rôle d'une direction n'est pas seulement de dire ce qu'il faut faire. Elle doit être à l'écoute de la base militante. Donc quand on décide d'une campagne nationale, comment peut-on donner aux équipes locales les moyens d'agir ? Ça veut dire avoir un regard sur les autres et pas juste sur ce qui se passe à Paris. Ça pose la question de comment on homogénéise un parti afin de gagner du temps, d'économiser de l'énergie militante. Entre le Gers où l'on a cinq militants et Paris où il y en a plusieurs centaines, ce ne sont pas les mêmes conditions de travail – on peut employer ce terme là – on doit donc savoir comment répondre aux besoins particuliers des uns et des autres. Pour l'instant on est loin de pouvoir maîtriser cette situation-là.

Il n'y pas de commission sur les questions de fonctionnement au NPA ?

Non, il y a des commissions thématiques (anti-racisme, féministe, écologie...). On a essayé de mettre en place des groupes pour l'amélioration du fonctionnement de l'orga mais on a jamais réussi à instaurer des choses qui soient collectives (au niveau de la direction).

Quand tu as été candidat, tu avait bien une équipe derrière toi ?

Oui, mais c'était fragile.

Un militant du NPA local disait dans la presse que « les partis désormais c'était cramé », tu es d'accord avec lui ?

Globalement oui, on peut le dire, il y a un discrédit énorme. Mais je ne crois pas qu'on souffre de ça, nous. De toute façon, la politique en elle-même a toujours été étrangère à la plupart des gens. Beaucoup votent et point barre. C'est vrai qu'on dit qu'il y a une crise de l'engagement politique. Beaucoup de militants, à la gauche de la gauche, se découragent, se mettent en retrait mais si on compare à une échelle de temps plus large, moi j'ai jamais connu des moments où il y avait plein de militants, ni dans les partis, ni dans les syndicats. C'est peut-être plus flagrant aujourd'hui parce que le patronat est à l'offensive et on voit qu'on n'est pas assez nombreux pour riposter. L'associatif est cramé, les syndicats sont cramés... comme les partis. C'est l'idée de résistance collective qu'il n'y a pas ou plus dans la tête des gens.

Qu'est-ce que tu penses alors des nouvelles formes de militantisme hors-partis du type « collectifs citoyens » ou les « indignés » ?

On peut parler aussi des zadistes. Ce sont des embryons de nouvelles formes de luttes et c'est pas mal, mais on voit bien qu'eux aussi manquent de force. Ces mouvements se développent mais en méfiance des milieux qui militaient déjà et c'est un handicap pour tout le monde. Ça fonctionne bien à Notre Dame des Landes, on a là un bon exemple où agriculteurs et zadistes, sans toujours faire les mêmes choses, discutent et agissent ensemble. A Sivens ça n'a pas pu prendre. Entre les zadistes, les associations du Testet, le collectif des Bouilles, ce n'était pas tout les jours la bonne ambiance. Après, nous, on est pour que les gens s'organisent eux-mêmes quelques soient les formes que ça prendra.

Pour faire écho aux précédents articles du blog, qu'est-ce que tu penses de Chouard et du tirage au sort en politique ?

Je ne connais pas Chouard, mais le tirage au sort, à mon avis, c'est bidon. Ça fait un peu tâtonnement : « on sait pas quoi faire, donc si on disait ça ». Ce qui nous manque c'est que des tas de gens s'investissent. A partir de là on pourra envisager de comment se structurer, et certains éléments deviendront peut-être pertinents à ce moment-là. On est tous en attente de quelque chose qui nous botte. C'est comme les formes de lutte. Les manif, on sait tous que c'est hyper-chiant. Toutes les villes ont leurs habitudes, on refait le même trajet de telle place à telle rue depuis des années. Mais on se dit qu'il vaut mieux ça que rien. C'est quand ça explosera qu'on trouvera de nouvelles formes de luttes. Mai 68 ça ne s'est pas préparé avant. En attendant, le fait qu'il n'y ait plus qu'un seul type de discours sur l'immigration, le chômage, l'économie, tout cela entretient une grosse confusion sur les lignes politiques. Ça profite d'abord au gouvernement, dont tous les membres sont aussi nuls les uns que les autres mais qui arrivent quand même à faire passer leurs réformes à coup de 49.3. Ça profite ensuite à pas mal de mouvances qui entretiennent cette confusion et sont des passerelles vers l'extrême-droite.


Question à la manière des Inconnus qui demandaient la différence entre un bon chasseur et un mauvais chasseur, c'est quoi la différence entre bon militant et un mauvais militant ?

J'ai pas envie de classer les choses comme ça. Je pense que dans les milieux militants, parce qu'on arrive pas à mener les combats comme on voudrait et que nous sommes des militants, des combattants donc, on va se battre contre n'importe qui. En interne ça donne des situations problématiques. C'est la même chose dans les boîtes avec les batailles inter-syndicales. Il y a trop de divisions, d'esprit boutiquier. On est formé par ça et on croit parfois que militer c'est combattre FO, la CFDT et mettre ça en avant. Le rapport de force étant défavorable, on mène les combats qu'on peut mener, et les combats qu'on peut mener facilement c'est contre celui d'à côté. En interne au NPA, on dépense une telle énergie à combattre la tendance d'à côté qu'on finit par croire que la priorité ça devient ça. On finit par croire que militer c'est ça, avec un rapport parfois très viriliste, très musclé. C'est le cas au NPA, c'est le cas aussi dans tous les courants du Front de Gauche et dans tous les syndicats.

Comment peut-on sortir de ces combats stériles ?

On devrait avoir le droit de douter. Pour l'instant le doute est vu comme une faiblesse par ceux qui n'ont que des certitudes. Il faudrait vraiment arriver à ce que nos points de désaccords deviennent des points de débats et pas systématiquement des points de conflits. En plus ça ne donne pas envie de nous rejoindre. Les gens ont suffisamment de conflits dans leur vie pour s'en rajouter d'autres au sein d'une orga.

Dernière question : les clips de campagne pour les présidentielles de 2012 étaient vraiment géniaux. Comment l'idée vous est venue ?

C'est le réalisateur des films, Hugo, qui est toujours militant au NPA, qui a écrit les scénarios avec ce côté culotté et osé. Au début ça passait pas bien auprès de certains camarades, mais on a pu le faire parce que justement je débarquais de nul part. Quand Hugo m'a vu et a discuté avec moi ça a dû le conforter dans l'idée de faire les choses de cette manière. Quand je passe pour la première fois chez Ruquier, je ne maîtrise rien mais on a retourné cette situation en notre faveur. Il fallait surtout pas tenter d'imiter Olivier Besancenot. Si on repart en 2017 (on décidera en mars), on ne refera pas exactement la même chose.

C'est pas ingrat d'être reconnu dans la rue ?

Non, c'est pas chiant, c'est même rassurant. Même à ma petite échelle, avec mon petit score d'il y a cinq ans, les gens viennent me voir et discuter, c’est fraternel et chaleureux parce qu’ils se reconnaissent dans quelqu’un comme eux qui s’exprime comme eux. François Ruffin expliquait dans un débat que les gens ont besoin d'incarnation. Olivier surtout mais moi aussi incarnons un certain combat, la parole des gens d’en-bas. On reste dans la délégation mais dans ce contexte c'est pas mal d'avoir des repères, ça fait espérer.