Depuis la seconde moitié du XXème
siècle les prédications anxiogènes, souvent alimentées par des
médias en quête d'audience ou des politiciens jouant sur la peur,
se sont multipliées : guerres nucléaires, crise pétrolière, bug
de l'an 2000, 11 septembre, réchauffement climatique. Nombreux sont
ceux qui se sont interrogés sur leur capacité à réagir à des
situations extrêmes de chez extrême. Une des réponses a été le
survivalisme, qui a donné le stéréotype de l'homme solitaire avec
son AK-47 défendant un bunker rempli de boîtes de conserves.
Plus innocent que les médias-menteurs
et les politiciens démagogues, le cinéma s'est emparé de ce thème
scénaristique. Légions sont les
films plaçant un groupe humain isolé face à une menace : nature
hostile, autres groupes humains prédateurs (Délivrance),
animaux sauvages, monstres, tueurs psychopathes... c'est un genre
cinématographique à part entière. Parfois les scénaristes vont
faire jouer leur imagination avec une catastrophe majeure :
réchauffement climatique entrainant une élévation des océans (
Waterworld );
dépérissement des structures étatiques (Mad Max);
après-guerre nucléaire (Mad Max II ou
mieux encore la série Jericho);
épidémie mondiale (28 jours plus tard ).
Notons pour rigoler les nanards américains des années 80 qui
anticipaient une invasion soviétique des États-Unis tel Aube
Rouge. Le spectateur observera non seulement les tentatives de
survie des héros mais aussi les interactions sociales qui en
résultent.
La ''philosophie''
survivaliste a rapidement entrainé des dérives sectaires. Certaines
églises évangéliques se préparent à l'apocalypse biblique tandis
que des groupes néo-nazis se préparent à combattre militairement
des complots sionistes ou des invasions islamiques, pur produit de
leur fantasmes de détraqués. Pour mieux illustrer ces dérives,
lisez les bandes dessinées de Roger Martin et Nicolas Otéro
Amerikkka qui enquêtent sur les groupuscules d'extrême-droite
aux États-Unis. Le tome 3 Les neiges de l'Idaho s'inspire de
ces tarés millénaristes. Ce sera le dernier conseil culturel de cet
article.
En effet, les
dérapages sont faciles. Par exemple si je stocke des vivres, il me
faut pouvoir les protéger contre des pillards, donc je suis pour la
liberté de port d'armes; si les ressources sont limitées je
privilégie mes proches ou j'élimine les ''faibles'' donc je suis
pour l'eugénisme etc etc...
L'image du
survivaliste, souvent confirmé dans la réalité, est devenue celle
d'un paranoïaque, surarmé, barricadé, misanthrope et facho.
Mais des citoyens
ordinaires, eux-mêmes préoccupés d'anticiper des situations à
risques, ont tenu à se distinguer des barjos cités ci-dessus. Il ne
s'agit plus simplement d'imaginer une catastrophe globale, mais
d'abord de se préparer à des problèmes qui peuvent nous toucher
individuellement : accidents de la route, incendie, coupure prolongée
de courant. Il conviendra ensuite de prévoir des solutions, non pas
en cas d'invasion de zombies, mais en cas d'évènements à échelle
régionale ou nationale comme des ruptures d'approvisionnement de
nourritures, des ruptures de services publics (plus de police ou plus
de pompiers). Enfin on peut s'interroger sur ce qu'il faut faire pour
se préserver d'une catastrophe économique, ce n'est pas du tout de
la science-fiction, parlez en aux grecs, ils vous le diront.
Préparer, prévoir, prévenir, sont
les mots d'ordre de ces
citoyens ordinaires. Ils se nomment des ''preppers'' de
prepping, diminutif anglais informel de ''se préparer''. On appelle
ça aussi le néosurvivalisme.
Nous, on l'appellera le survivalisme de gauche
et on va vous dire pourquoi.
Une
des clés de voute du néosurvivalisme est l'aptitude à interagir en
collectif. Cela signifie devenir de plus en plus engagé avec ses
voisins, son quartier. Car à petite échelle, nous expliquent
certains preppers, dans une situation de crise, les gens peuvent
s’aider ou s’entretuer…et tout dépend en général des
relations qu’ils avaient avant.
Si un tissus social sain, à savoir des liens de coopération réels
et égalitaires, existe avant une catastrophe, spontanément cette
solidarité se retrouvera en temps de crise.
Car il y a deux
écoles : ceux qui pensent que l'homme est un loup pour l'homme, et
que la seule loi valable est la loi de la jungle; et ceux qui pensent
que la meilleure protection de l'homme c'est le groupe. Ainsi lors de
l'ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, on a vu certes des scènes
de pillages, complaisamment relayées par les télés, mais il y a eu
aussi des quartiers, des immeubles où les habitants se sont
organisés, ont protégé les blessés, mutualisé les ressources et
même organisé des loisirs. Pour donner un exemple encore plus
basique, observez des entreprises qui cherchent à dégraisser du
personnel. Là où il y a des syndicats, les travailleurs ont plus de
chances de s'en tirer.
Enfin,
le survivalisme de gauche c'est tout simplement tenter de
s'affranchir des dépendances que cherche à nous imposer la société
de consommation. C'est du survivalisme à mémé en somme, qui fait
son jardin et stocke des pots de confitures fait maison. En cela, le
survivalisme de gauche se rapproche des décroissants.
Interrogeons-nous
aussi sur la part de la population en France qui a des notions de
base en électricité, en plomberie, en mécanique. Ou pire encore de
secourisme. Beaucoup parmi nous se retrouvent complément déboussolé
devant une fuite de robinet, un grille-pain HS ou un grand-père
faisant un malaise. Pourquoi ne réclamerions nous pas des pouvoirs
publics que l'école nous enseigne ces connaissances de base de la
débrouille ? '' Quand j's'rais grande j'veux être
heureuse, Savoir dessiner un peu, Savoir m'servir d'une perceuse,
Savoir allumer un feu, '' disait une chanson de Renaud.
Car c'est bien
gentil de savoir expliquer la baisse tangentielle du taux de profits
ou la lutte des classes dans la société anglaise du XIXème siècle,
mais il importe aussi de savoir quoi faire le jour où internet est
en panne.
Nous en tous cas,
on va stocker du vieux whisky et des livres reliés cuir, on sera
paré à toute éventualité.
Ps : le monde des
preppers et autres néosurvivalistes étant lui aussi bien parasité
par des cramés de la tête du genre conspirationnistes et autres
soraliens, nous ne mettrons aucun lien vers des sites. Si vous voulez
en savoir plus, démerdez-vous.