samedi 12 décembre 2015

Régionale fais moi mal !

Le sacrifice, oui mais pour les autres.

Trois militants de gauche sont assis en terrasse et discutent (ce sont donc des résistants depuis le 13 novembre) quelque part dans le sud de la France, à Toulouse ou Montpellier, allez-savoir...

Gros Bébert : moi j'suis viscéralement antifasciste, la preuve mon grand-père était au maquis.

Léandre : ouais moi aussi, grave, c'est une question fondamentale !

Gros Bébert : avec cette vermine faut pas prendre de gants, tous les moyens sont bons pour les réduire au silence, « by any means necessary, par tous les moyens nécessaires » comme disait Malcom X...

Léandre : ouais c'est pas des partis comme les autres, les fafs, le fascisme c'est comme la gangrène, on l’élimine où on en crève.

Gros Bébert : de toute façon on finira par en venir aux armes, y'aura pas d'autres solutions, et ce jour-là je serai en première ligne sur les barricades !

Léandre : « peuple armé, peuple respecté », moi aussi, s'il faut se salir les mains, s'il faut faire des trucs crades, je les ferais, No pasaran !

Le troisième militant : du coup ce week-end au deuxième tour des régionales, on vote PS pour faire barrage au FN ?

Gros Bébert : quoi ? T'es pas fou toi ? Voter PS après toutes les saloperies qu'ils ont faites ? Jamais !

Léandre : je reconnais bien là l'opportunisme de ton mouvement droitier, mettre un bulletin de vote d'un parti austéritaire et policier ? A condition d'écrire dessus « Macron démission » pourquoi pas...

Gros Bébert : j'me suis juré de plus jamais voter pour ces socio-traitres. Jamais je me compromettrai avec eux !

Voici l'aspect quelque peu comique des postures antifascistes purement verbales de nombreux curés rouges. Ils gueulent à longueur temps qu'ils luttent contre l'extrême-droite et le jour où ils ont l'opportunité de leur barrer la route, ils ont pu envie…

Je vis dans la région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon où les résultats du premier tour des régionales ont donné : Louis Aliot pour le FN à 33 %, suivies de Carole Delga PS 24 %, Dominique Reynié pour la droite 18 % et Gérard Onesta, pour lequel j'ai fait campagne, Front de Gauche EELV Occitanistes etc à 10 %.

J'avoue que lundi matin j'étais sur la position du personnage de Léandre : ne pas cautionner la politique du PS et mettre un bulletin avec un slogan politique écrit dessus dans l'urne. Je l'ai fait savoir sur les réseaux sociaux. Et puis j'ai réexaminer les résultats. Si tous mes camarades m'imitaient, le FN pourrait prendre les commandes de la région. Passé l'étourdissement de savoir que nos votes étaient déterminants (avouons que ça n'arrive pas tous les jours), je me suis interrogé. Est-ce qu'une mandature d'extrême-droite serait pire qu'une mandature sociale-libérale ? Après tout, je suis un homme blanc, majeur, hétérosexuel, de classe moyenne comme à peu près (à la louche) 75% des gauchistes de ce pays. Si je me fais discret, je ne serai pas la première cible de l'extrême-droite normalisée. Sauf que tout le monde n'a pas le même profil social que moi. Si j'étais prêt à prendre des risques pour conserver une pureté politique, pourquoi devrais-je entraîner avec moi des catégories de populations (femmes, homosexuels, immigrés, chômeurs, artistes...) qui n'ont rien demandé et qui seraient bien plus menacés que moi ?

J'ai donc changé de position (et cela correspondait à la position de ma liste) et je l'ai à nouveau fait savoir sur les réseaux sociaux. Réseaux sociaux qui, du côté des militants de gauche, s'étaient transformés -une fois de plus – en un délicat mélange entre une discussion de salon et... LA GUERRE DU VIETNAM ! Évidement j'ai sauté dans la mêlée générale et j'ai repris les polémiques avec les curés rouges mais néanmoins camarades.

Deux choses me gênent chez certains. D'abord leur ignorance, vraie ou simulée, de ce qu'est l'extrême-droite et de son rapport au pouvoir. S'il y a bien un courant qui utilise le « by any means necessary » c'est celui des fachos. Mensonges, calomnies, manipulations sont déjà des pratiques classiques du clan Le Pen. Quand le rapport de force leur devient très favorable, ils peuvent y ajouter le meurtre. Cette ignorance peut se réparer en lisant quelques bouquins ou en voyageant dans des pays dirigés par l'extrême-droite comme la Russie ou Israël (deux modèles pour le FN, c'est eux qui le disent).

Ensuite c'est l'abstraction que font les militants révolutionnaires des difficultés que vont rencontrer les minorités et les classes populaires sous une mandature d'extrême-droite. Oui, les plus faibles vont en chier, des assos vont fermer, des aides vont être supprimées, des personnels de collectivités vont être harcelés. Sur ces questions les camarades qui ne voteront pas demain ne me répondent pas. Ils préfèrent me faire le bilan du PS (même si je suis pourtant d'accord avec eux) et me parler de politiques-fictions où le FN s'écroulerait en quelques mois, incapable qu'il serait de gérer des collectivités. Même si je croyais à cette fable, je n'irai pas sacrifier les plus vulnérables pour le plaisir d'avoir raison.

Alors oui, j'ai envoyé des fions toute la semaine à mes amis gauchistes, je me suis parfois énervé et j'en ai énervés quelques-uns. J'aurai pas dû. Car nous sommes tous sonnés, on avait beau s'y attendre, c'est comme un coup de poing dans la gueule, on est sous le choc, on tente quand même de se relever et de chercher une parade en urgence mais on a des acouphènes dans les oreilles et des mouches lumineuses devant les yeux. Chacun fera ce qui lui semble le plus juste. Il faudrait seulement éviter de se diviser encore plus, en raison des nombreux combats qui nous attendent, quelque soit le résultat de dimanche. 

eux au moins, ils font ça pour s'amuser


PS : cette analyse est valable pour ma région, même si ça nous écorche la gueule de faire ne serait-ce qu'une infime nuance entre PS de l’État d'Urgence et FN. Ailleurs, et notamment lorsque le choix doit se faire entre FN et droite décomplexée, ben...désolé vous êtes foutu...

jeudi 22 octobre 2015

Pourquoi les routiers n'ont plus d'histoires d'amour ?


Ma gloutonnerie cinéphile m'avait depuis longtemps donné l'idée de cet article. La loi étant votée, je me suis donné le décret d'application le week-end dernier, après une fête de l'Huma locale. L'ambiance était cool. On pouvait y boire et manger copieusement. Les groupes de musique assuraient. Il y avait une librairie bien fournie et la ravissante Myriam Martin eut la bonté de nous irradier de sa présence (un-regard-de-toi-et-je-serai-ton-gilet-pare-balle, oh-Khaleesi-du-mouvement-ouvrier-international).

Puis vint le débat politique. Comme cela arrive souvent, une proportion importante des interventions du public s'est résumée en une lamentation vis à vis de notre situation politique : nous avons raison dans nos combats, donc si nous sommes aussi peu nombreux c'est la faute aux ''autres''. Ceux qui n'adhèrent pas, ceux qui ne votent pas, ceux qui préfèrent la sécurité de l'emploi à la révolte sociale. Je ne blâme pas trop fort mes camarades car - c'est un réflexe naturel- on se retrouve entre soi, on cherche à se réconforter, quitte à faire de ceux pour qui nous sommes censés nous battre, les responsables de nos défaites. Le peuple est ingrat et les débats entre militants font souvent transparaître cette sourde rancune.

Car ce n'est pas si évident d'aimer le peuple, même quand on en est soi-même issu. Rendez-vous compte : ce sont quand même des gens bêtes, ils écoutent de la soupe, ils regardent le foot, ils font du tunning, ils votent Front National ou ne votent pas, ils vont faire leurs courses dans les supermarchés, ils regardent TF1, ils polluent etc... ça c'est pour la version beauf du peuple. Il y a aussi la version intello-snob du peuple, ceux qu'on appelle les bobos. Ils valent pas mieux : ils lisent des livres chiants, ils regardent des films en VO sous-titrés, ils font des potagers dans les villes, ils réaménagent leurs quartiers et ça fait monter le prix des loyers, ils regardent Canal +, ils donnent des leçons à tout le monde, etc...

Que vous vous reconnaissiez dans l'un ou l'autre de ces portraits, rassurez-vous, pour Bolloré, Bernard Arnaud ou Bettencourt, vous êtes de la racaille de toute façon... Sentiment de mépris de classe bien normal de la part de nos élites, mais comment expliquer que les milieux populaires intègrent ce même mépris  ?

Ce n'est pas nouveau mais ça n'a pas toujours été le cas. Regardez cette bande-annonce d'un film de 1956 « Des gens sans importance ».



Vous aurez reconnu Jean Gabin qui joue ici le rôle d'un routier, marié, père de trois enfants, qui tombe amoureux d'une jeune femme seule, employée dans un hôtel-restaurant en bord de route. C'est une histoire classique de triangle amoureux où le héros est partagé entre amour et culpabilité. Il va devoir faire un choix, à moins que ce soit le sort qui décide à sa place. On a les mêmes films aujourd'hui, mais le héros n'est plus un routier . De nos jours, ce serait plutôt … un cadre commercial qui serait toujours en déplacement professionnel entre Shanghai et New York et qui tomberait amoureux d'une belle hôtesse de l'air. Mais ce serait pas le vrai métier de cette gourdasse, car son rêve de petite fille ce serait de créer sa propre entreprise de mode... *

Qu'est-ce qui nous a fait passer d'un cadre à l'autre ?

Voici maintenant la bande-annonce d'un autre film, datant cette fois-ci de 1973.



Il s'agit de Dupont-Lajoie avec Jean Carmet dans le rôle titre. On nous montre encore des gens issus du peuple, des petits commerçants, des ouvriers et il y a aussi une histoire d'amour mais la comparaison s'arrête là. Voyez plutôt : comme chaque année depuis vingt ans, M. Lajoie, bistrotier parisien, emmène sa petite famille en vacance sur la côte d'Azur. Il y retrouve son groupe d'amis, clients fidèles du même camping, coincé entre la plage et l'autoroute. Or, la fille d'un de ces amis vient d'avoir 18 ans et elle est très belle. M. Lajoie est tout chamboulé mais plutôt que de tomber dans le triangle amoureux partagé entre amour et culpabilité machin tout ça... il va violer la jeune fille et lui briser la nuque. Pour maquiller son crime, il va ensuite déposer le corps près d'une cabane de chantier occupée par des ouvriers algériens. Les amis de M. Lajoie vont tomber avec plaisir dans le panneau et vont faire justice eux-même. Ils vont ratonner les ouvriers arabes jusqu'à en tuer un. Et ceci n'est pas la fin du film, on va tomber encore plus bas dans la lâcheté et l'abjection.

Autant on peut s'identifier au personnage de Jean Gabin, le brave homme, bourru mais au bon cœur, autant c'est très compliqué de s'identifier aux personnages de Dupont-Lajoie. D'autant plus qu'ils sont très laids, avec des casquettes en plastiques, des chemisettes à carreaux et des shorts moule-bite. Les deux films nous montrent pourtant les mêmes classes sociales mais sous deux facettes différentes. Le héros de la classe ouvrière d'un côté, et de l'autre des lâches, alcooliques, racistes, violeurs limite pédophiles.

Ce qui sépare ces deux films, c'est l'époque. Le premier date de 1956, le parti communiste est le premier parti ouvrier de France, le premier parti de gauche et même le premier parti tout court. Les soviétiques ne sont pas encore intervenus à Budapest. Tous les intellectuels de premier ordre soutiennent le parti de la classe ouvrière. Le PCF n'a pas besoin de contrôler la production cinématographique. Quand celui-ci a 800 000 adhérents et la CGT 4 millions, si les réalisateurs veulent avoir du public, on fait attention à ce qu'on dit sur le peuple.

Le deuxième film, lui, est sorti 5 ans après mai 68. Les étudiants et les ouvriers n'ont pas réussi à unir leurs forces pendant cette grève. Les soviétiques ont envoyé leurs chars à Prague, et les intellectuels français qui n'ont pas quitté le parti communiste, se sont fait foutre dehors par les staliniens. « Intello » est en train de devenir une insulte. Les intellectuels ne sont pas encore tous à droite comme aujourd'hui, mais il y a des trotskystes, des mao, des libertaires. Et la réponse à l'invective d'intello devient le « beauf » inventé par Cabu et le journal Hara Kiri. Dupont-Lajoie est un film symptôme de cette nouvelle division au sein du peuple.

Comme par un effet de balancier, la figure du patron va progressivement suivre le chemin inverse au cinéma, passant du salaud au héros capitaine d'industrie**. Ces héros au brushing impeccable qu'une tête pleine d'eau comme Macron vénère. « Les milliardaires ils ont pris des risques, et puis il faut du courage pour diriger une grosse entreprise, les gros salaires traduisent le mérite... »

Pourtant un pompier, une infirmière, un cheminot, ou même un prof, prennent des risques, ils ne sont pas milliardaires pour autant. Et l'ouvrier qui a refusé de serrer la main de Hollande, il en fallait pas du courage peut-être ? Et les millions de personnes qui se lèvent tous les jours pour aller faire des boulots pénibles et mal payés, les mères célibataires smicardes qui élèvent seules leurs enfants... Ils en ont pas du mérite, tous ces braves gens ? Alors tant pis s'ils regardent TF1, s'ils vont au supermarché plutôt qu'à la biocoop, s'ils roulent en diesel...aimons-les malgré leurs défauts.

Nous devons faire acte de propagande. Nous devons reprendre confiance en nous et arrêter de nous mépriser les uns les autres. C'est le procédé qu'ont utilisé les noirs américains. Dans la culture populaire, le noir était soit un gangster drogué et violent, soit un grand enfant naïf et indolent. Avant de faire front commun contre les injustices sociales, il était important qu'ils reprennent confiance en eux. Les mouvements politiques afro-américains popularisèrent donc le slogan « black is beautiful », le noir c'est beau.

Dévaloriser le prolo ne qui vit pas comme nous, c'est nous dévaloriser nous-même. Nous devons choisir notre récit. A nous de choisir l'image que l'on veut donner : Jean Gabin ou Jean Carmet.

A quoi bon militer pour un monde meilleur si l'on aime pas un tant soit peu l'humanité ? Réunissons les beaufs et les bobos et on pourra commencer à vraiment faire peur aux patrons et aux banquiers. Le peuple est beau, le peuple est courageux, le peuple est sexy.



* Le prolo apparaît encore au cinéma aujourd'hui, mais on se sent obligé d'y accoler l'adjectif social : comédie sociale, cinéma social... C'est un héros misérable (voir les réalisations de Ken Loach, des Dardennes, Bruno Dumont...)soit grotesque (Camping, Les Tuches, Bienvenue chez les Ch'tis...)

* *On passe ainsi du salaud de Batala dans Le crime de monsieur Lange en 1935, des patrons tyranniques et ridicules joués par De Funes dans les années 70 à des hommes riches qui manquent juste d'un peu d'amour dans les comédies françaises contemporaines, Une famille à louer en est un des derniers avatars.

vendredi 12 juin 2015

Et si la presse de gauche était sincère 3/3

5ème fête de l'anticapitalisme : le public n'était pas au rendez-vous.

Ambiance de merde à la 5ème fête de l'anticapitalisme organisée ce samedi par le NPA à la salle Jean Lefebvre.

Peu de monde, que des têtes connues et un ennui pesant, voilà comment l'on pourrait résumer la journée. Le programme proposé par les militants du NPA était pourtant très complet. Deux thèmes politiques avaient été privilégiés et ont fait l’objet de tables rondes-débat. La première est revenue sur la situation au Sud-Kiboulsthan avec des militants de la tendance révolutionnaire du National Pachmouk United Front. La seconde portait sur la délicate question des classes moyennes en France après Charlie, intitulée « Les Toubabs : philosémites ou néo-colons ? » en partenariat avec nos camarades du Parti des Indigènes de la République. La soirée s'est ensuite clôturée, comme d'habitude, par un concert de reprises d'HK et les Saltimbanks.

Tout était réunis pour une ambiance de folie : « J'ai pas pu assister aux débats de l'après-midi, nous confiait Cassiopée 19 ans, parce qu'avec les copains du NPA Jeunes, on collait les affiches qui annonçaient la fête… c'est vrai qu'on était pas très très en avance. Par contre le soir, on s'est vachement bien amusés, vu qu'on habite tous chez nos parents c'est super cool de trouver un endroit où on peut boire de l'alcool et fumer des pétards sans se faire griller. »

Mais le premier sentiment de malaise eut ainsi lieu lorsque nos camarades du NPA Jeunes, en état d’ébriété avancée dès 21h, ont entonné à tue-tête les douze couplets de La Jeune Garde. Ce vieux chant stalinien ne parlant plus à grand monde, peu ont pu apprécier le second degré de la chorale et beaucoup ont éprouvé un sentiment de solitude.

Par contre ni l'alcool ni la jeunesse n'explique l'attitude de Julien Salingue à l'origine de la seconde gêne générale. Les selfies à répétition de notre universitaire avec Rokhaya Diallo ont fait avaler de travers leur choucroute bio à plus d'un participant. « Je dois être un peu trop vieille école, nous dit Josiane, militante NPA, j'en suis restée à une conception marxiste de la division de la société en classe, j'ai encore un peu de mal avec l'antiracisme identitaire. J'aurai bien parlé de droits des femmes, d'IVG ou de luttes de classes mais j'ai peur de passer pour une bobo universaliste occidentale voulant brimer les spécificités culturelles de nos nouveaux amis. Je vais plutôt aller me coller une grosse cuite avec les gamins du NPA Jeunes. »

Espérons que la gueule de bois des uns et des autres ne soit pas trop violente.


jeudi 11 juin 2015

Et si la presse de gauche était sincère 2/3


Élections : une nouvelle branlée pour le Front de Gauche

Le parti communiste a épuisé son stock d'euphémismes.

On ne va pas se mentir, les résultats des dernières élections sont plus que décevants. Dans les années 90-2000, grâce au Prozac, les communicants du PCF arrivaient à tirer des conclusions optimistes et encourageantes pour des scores médiocres, mais cette période est désormais révolue. « Si on a perdu plus d'électeurs qu'on en a gagné, on en a gagné quand même, ça c'était de la rhétorique de haute voltige ! » se souvient, nostalgique, Albert Bouchignard, militant communiste en région parisienne, ...mais aujourd'hui, même ces grosses ficelles sont usées ».

Des élus en moins, ce sont des permanences qui ferment, un étage supplémentaire place du Colonel Fabien privatisé au profit d'une agence d'astrologie en ligne et plus de publicités dans les colonnes de notre journal. Mais ce n'est pas tout. Depuis la création du Front de Gauche, les militants PCF sont confrontés à de nouvelles complications. « Autrefois on s’embarrassait pas de ces formalités du second tour, le parti appelait à voter PS et puis c'était tout, poursuit Albert, mais maintenant on est obligé de justifier les décisions de nos chefs auprès des autres composantes du Front de Gauche ». Et le choc des cultures est parfois violent. « L'autre jour, parce ce qu'on appelait à battre la droite en votant PS-Modem, y a un jeune gauchiste du PG qui m'a traité de carpette à socialos, se lamente Albert, c'est pas faux, mais il aurait pu rester poli... ».

Du coté de leur partenaire du Parti de Gauche, l'heure est également à la clairvoyance. « A la présidentielle, j'ai fait dans le tribun Troisième République, le résultat a été moyen-bof, aurait confié Jean-Luc Mélenchon, aux législatives, j'ai fait dans l'antifascisme : branlée ; aux départementales, j'ai fait dans le mouvement citoyen : re-branlée ; je sais plus quoi inventer pour les régionales, merde alors ! ».

Laissons la conclusion à Albert Bouchignard :  « De tout temps beaucoup ont cru qu'on pouvait pas tomber plus bas et on a toujours réussi à les surprendre ». C'est en effet une constante.


Demain nous lirons l'Anticapitaliste.

mercredi 10 juin 2015

Et si la presse de gauche était sincère 1/3

Notre presse rapporte souvent des événements concernant nos actions militantes de façon positive et enjouée. On a tous connu des comptes-rendus de meeting où le peu de participants était oublié au profit de "la haute qualité des débats", ou ces manifs squelettiques où les manifestants étaient "très déterminés".  C'est normal, c'est de la com'. Mais à quoi ressembleraient des articles rédigés avec des accents de sincérité ?  Exemple :

Encore un bide pour les exposés du cercle Léon Trotsky

Les militants eux-mêmes commencent à se lasser.

« Et dire que j'ai raté la demi-finale de Top Chef pour assister à cette conférence ! » regrette un militant de Lutte Ouvrière qui a préféré garder l'anonymat. Hier soir, le moins que l'on puisse dire c'est que la salle qui accueillait l'exposé du cercle Léon Trotsky était loin d'être remplie : six personnes seulement se sont déplacées dont cinq étaient membres du parti de Nathalie Arthaud. Le sixième était un employé communal vaguement à la CGT. Rond comme une queue de pelle, celui-ci s'est endormi dès le premier quart d'heure d'exposé, ne se réveillant qu'au moment du débat pour dire du bien de son chef de service.

« Je ne comprend pas cette désaffection pour la politique » nous explique Jean-Paul, professeur de mathématiques dans la région de Charleville-Mézières et conférencier d'un soir. « J'avais pourtant pris soin de ne pas être trop universitaire. La résistance des pachmouks au Sud-Kiboulsthan c'est un sujet qui parle aux travailleurs. »

Les exposés du cercle Léon Trotsky existent depuis 1983. Ils ont pour but d'apporter un éclairage marxiste-léniniste sur des questions d'actualités. « On réserve une salle municipale, on la décore avec des affiches des présidentielles de Nathalie et on met un drapeau rouge sur la table, ça donne un côté convivial et chaleureux tout en restant politique. » nous explique Jean-Paul. «  On a modernisé la formule en 1991. Maintenant c'est plus seulement une conférence d'une heure trente, un couplet d'Internationale et bonsoir tout le monde, on fait aussi des échanges avec la salle...le problème c'est qu'on est tous d'accord vu qu'on reste pour la plupart du temps entre nous. » se désole le conférencier.

« Au moins quand il y avait la tendance Voix des Travailleurs, on pouvait envisager de draguer à la sortie de la conférence, se souvient ce militant anonyme avec une pointe d'amertume dans la voix, mais même ça c'est plus possible. »

Gageons que les camarades sauront s'adapter dans les prochaines décennies.


Demain nous lirons l'Humanité. 



dimanche 18 janvier 2015

«Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage »

 Une rue passante, un jour de marché, dans une ville quelconque. Un groupe de militants de gauche distribue un tract. Léandre, petit-anarchiste-casse-couilles-pour-vieux, est de ceux-là.

Léandre : contre la politique austéritaire du gouvernement social-traître à la solde du grand patronat, prenez le tract du Nouveau Parti de Lutte Ouvrière Anticapitaliste de Gauche !

Une passante fait un pas de côté et regarde ostensiblement ailleurs.

Léandre : eh toi j'tai vu ! Vas-y fait pas ta pute, prend mon tract ! Si le peuple est uni on peut gagner. Sois pas un mouton ! P'tain elle m'écoute même pas ! C'est ça dégage, consomme et tais-toi, pétasse !

Léandre rumine encore quelques instants puis reprend sa distribution.

Léandre : contre la politique anti-ouvrière du gouvernement et contre la collaboration de classe des grandes centrales syndicales, demandez le tract de la vraie gauche vraiment révolutionnaire !

Un couple s'approche et tend la main pour prendre un tract.

Léandre : eh ben qu'est-ce qu'il leur arrive aux bobos ? Vous vous occupez de politique maintenant ? C'est à la mode ou quoi ? Faites pas semblant de vous intéresser à l'anticapitalisme alors que vos fringues sont fabriquées en Chine par des enfants qu'ont même pas le droit de se syndiquer. Ça suffit l'hypocrisie ! Allez, barrez-vous les snobs, vous m'dégouttez !


Ceci est une fiction. Bien entendu, dans la vraie vie, aucun militant n'aurait l'idée de se comporter comme ça en face des gens...

Alors pourquoi, nom de dieu de bordel de merde, certains de nos camarades s'autorisent-ils ces postures méprisantes sur les réseaux sociaux ? Depuis les drames de la semaine dernière, entre les « blaireaux » qui n'achètent pas Charlie et les « moutons » qui l'achètent, en rajoutant les « charlots » qui vont aux rassemblements, peu de gens trouvent grâce aux yeux des curés rouges.

Que l'on s'oppose à l'unité nationale, que l'on refuse de participer aux rassemblements en compagnie de la brochette de dictateurs et autres fous-furieux qui entouraient Hollande, que l'on ne partage pas la ligne droitière de Charlie Hebdo, tout cela est parfaitement honorable et s'explique politiquement. Mais rien ne justifie l'arrogance de nombreux messages ni les insultes à l'égard des personnes qui ont fait un autre choix.

Les événements exceptionnels produisent des réactions exceptionnelles. Certes l'émotion ne devrait pas l'emporter sur la réflexion, mais on contrôle parfois mal ses émotions, c'est humain. Nombreux sont ceux qui, dans les premiers jours, ont privilégié l'émotion, la tristesse en l’occurrence, et ont choisi de se recueillir avec leurs proches ou avec des anonymes. Ils ont fait une pause, soit dans leurs combats politiques soit leurs routines apolitiques. Ils n'ont pas à se faire traiter de  « cons, de moutons, de bobos se découvrant une soudaine passion pour le dessin » et autres amabilités que j'ai pu lire sur Facebook. Je pars du postulat que tous ces gens sont sincèrement touchés.

Même chose pour la presse. On devrait tous se féliciter que les ventes de journaux augmentent de façon exponentielle (pas seulement pour Charlie). C'est plutôt sain de vouloir approfondir ses connaissances à propos d'un événement. Eh bien non, Curé Rouge est obligé de faire la queue à la maison de la presse et cela le contrarie. Il évacue son aigreur par une nouvelle salve de commentaires et de dessins méprisants. Les nouveaux lecteurs seraient des illettrés ne sachant pas ouvrir un journal ou des veaux suivant un effet de mode.

Ce genre de comportements fait plus de tord que de bien à la gauche. Si ces militants de gauche détestent autant le peuple, pourquoi militent-ils ? Ne doit-on pas essayer de comprendre nos contemporains ? Ne doit-on pas avoir un tant soit peu d'empathie même pour ceux qui ne nous ressemblent pas ?

Et dire que ce blog est sensé être fermé !

Pourtant ce ne sont pas les sources d'inspiration qui manquent. Il y a encore beaucoup de monde frappant à la porte du Fight Club anarcho-droitier pour se faire taper dessus. Nombreux sont ceux qui parasitent notre militantisme en se croyant supérieur à la plèbe alors qu'ils n'ont que des névroses différentes de celles du commun.

Tapons donc encore et encore sur les curés rouges et les aristocrates de gauche, vingt fois sur le métier remettons notre ouvrage (Boileau).




J'avais pourtant pas que ça à foutre...



dimanche 11 janvier 2015

Les années de plomb

Dans les articles scénarisés de ce prodigieux blog, un personnage apparaît parfois portant le pseudo de « Gros Bébert ». Comme les autres, c'est une caricature d'un des travers de quelques personnes de gauche. Gros Bébert est inspiré de rencontres que j'ai pu faire depuis que je milite. C'est le personnage qui surenchérit son radicalisme révolutionnaire pour justifier son inaction due en réalité à sa paresse ou sa couardise. L'action qu'on lui propose, pétition, manif ou grève, n'est jamais assez radicale pour lui. Il nous fera la démonstration que nos méthodes de luttes sont dépassées et inefficaces. Il invoquera sa pureté révolutionnaire et refusera de la voir corrompue par la proximité avec « les gens qui sont cons ». Mes conversations avec les Gros Bébert se terminent invariablement de la même façon. Malgré son refus d'agir, il tient à nous rassurer sur l'infaillibilité de son engagement et conclut sa rhétorique d'une phrase synonyme à celle-ci :  « Mais ne vous inquiétez pas, le jour de la révolution je serai en première ligne !»

Bien sûr aucun d'entre-vous, honorables lecteurs, n'est un Gros Bébert mais je suis sûr que vous en avez tous croisé au moins un un jour. Il serait alors temps d'avoir le plaisir de leur annoncer que « le jour de la révolution » est arrivé.

Sauf que ce n'est pas la nôtre.

Doucement mais surement, nous nous installons dans de nouvelles années de plomb. Les tabous, en paroles puis en actes, se brisent les uns après les autres. Trois camps s'affrontent : les conservateurs qui cherchent à maintenir le système actuel en l'état ; les réactionnaires qui combattent une partie de ce système mais pour imposer un modèle autoritaire et les progressistes qui tentent, bon an mal an, de défendre une alternative plus humaine.

Les luttes entre conservateurs et réactionnaires tiennent le haut de l'affiche mais avez-vous remarqué que ce sont les progressistes qui meurent ? Les soixante-neuf jeunes sociaux-démocrates de l'ile d'Utoya en Norvège; le rappeur Killah-P en Grèce; Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en Tunisie; Clément Méric, Rémi Fraysse et maintenant la rédaction de Charlie Hebdo en France.

Les névrosés d'Allah sont les idiots utiles des conservateurs et des réactionnaires. C'est un prétexte en or pour redonner quelques tours de verrous aux libertés et remettre au goût du jour des idées fascistes, c'est ça qui est fondamentalement inquiétant. La haine de la démocratie est la valeur montante de la contestation. Les progressistes sont sommés de se positionner sur des questions fixées par les conservateurs et les réactionnaires. La bataille culturelle est à l'avantage de ces derniers.

Ambiance plombante n'est-ce pas ?

C'est donc cette référence aux années de plomb qui me vient à l'esprit. Celles qu'a connu par exemple l'Italie dans les années 70-80, quand la mafia et les fascistes s'entendaient pour butter du gauchiste qui ne se laissait pas faire tandis que les gouvernements successifs démantelaient toutes les libertés individuelles en prétendant les défendre. C'est ainsi, à mon humble avis, que je verrai bien notre futur immédiat en France.

Que faire alors ?

Certainement pas désespérer, ce n'est pas le genre de la maison. Anticipons le pire et espérons le meilleur. Et pour anticiper le pire rien de tel qu'un simulateur de vol. C'est ainsi que parlait je ne sais plus quel intello à propos des livres. Les livres, et notamment les romans, sont des simulateurs de situations que l'on n'a pas forcément vécues. Repenchons-nous sur des périodes historiques craignos. Comment vivaient les gens, et surtout les militants, dans des époques où tout espoir semblait vain. Que pensait-on durant les années de plomb en Italie ? Comment vivait-on quand il était minuit dans le siècle, sous le stalinisme, sous l'occupation nazie ? Qu'est-ce qui faisait tenir le poilu au fond de sa tranchée ? Quels sentiments ressent-on sous le maccarthysme ou sous l'apartheid ?

Il ne s'agit pas de dire « vous voyez, il y a toujours pire », mais bien de prendre du recul, d'anticiper sereinement des événements exceptionnels et d'avoir déjà quelques idées possibles de réactions. En vrac voici quelques titres qui peuvent nous aider : L'Orchestre Rouge de Gilles Perrault ; Vie et Destin de Vassili Grosman ; La septième croix d'Anna Sehgers ; Une saison blanche et sèche d'André Brink ; Mémoire d'un rouge d'Howard Fast … ça marche aussi avec des films.

Il est donc temps pour tous les Gros Bébert de se décider à se bouger ou de se taire à jamais... mais on a quand même besoin de monde en ce moment.

Pour le reste, ici on change rien. Même si on était pas d'accord avec beaucoup de choses chez Charlie Hebdo, c'est un journal avec un symbolisme de gauche encore fort. Nous l'avions d'ailleurs mis dans nos références dans notre charte.

Donc on continue la provocation, l'irrévérence, la franchouaillardise, merde aux drapeaux, merde aux leaders charismatiques, merde à tous les crispés...

et Prout aussi !