dimanche 11 janvier 2015

Les années de plomb

Dans les articles scénarisés de ce prodigieux blog, un personnage apparaît parfois portant le pseudo de « Gros Bébert ». Comme les autres, c'est une caricature d'un des travers de quelques personnes de gauche. Gros Bébert est inspiré de rencontres que j'ai pu faire depuis que je milite. C'est le personnage qui surenchérit son radicalisme révolutionnaire pour justifier son inaction due en réalité à sa paresse ou sa couardise. L'action qu'on lui propose, pétition, manif ou grève, n'est jamais assez radicale pour lui. Il nous fera la démonstration que nos méthodes de luttes sont dépassées et inefficaces. Il invoquera sa pureté révolutionnaire et refusera de la voir corrompue par la proximité avec « les gens qui sont cons ». Mes conversations avec les Gros Bébert se terminent invariablement de la même façon. Malgré son refus d'agir, il tient à nous rassurer sur l'infaillibilité de son engagement et conclut sa rhétorique d'une phrase synonyme à celle-ci :  « Mais ne vous inquiétez pas, le jour de la révolution je serai en première ligne !»

Bien sûr aucun d'entre-vous, honorables lecteurs, n'est un Gros Bébert mais je suis sûr que vous en avez tous croisé au moins un un jour. Il serait alors temps d'avoir le plaisir de leur annoncer que « le jour de la révolution » est arrivé.

Sauf que ce n'est pas la nôtre.

Doucement mais surement, nous nous installons dans de nouvelles années de plomb. Les tabous, en paroles puis en actes, se brisent les uns après les autres. Trois camps s'affrontent : les conservateurs qui cherchent à maintenir le système actuel en l'état ; les réactionnaires qui combattent une partie de ce système mais pour imposer un modèle autoritaire et les progressistes qui tentent, bon an mal an, de défendre une alternative plus humaine.

Les luttes entre conservateurs et réactionnaires tiennent le haut de l'affiche mais avez-vous remarqué que ce sont les progressistes qui meurent ? Les soixante-neuf jeunes sociaux-démocrates de l'ile d'Utoya en Norvège; le rappeur Killah-P en Grèce; Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en Tunisie; Clément Méric, Rémi Fraysse et maintenant la rédaction de Charlie Hebdo en France.

Les névrosés d'Allah sont les idiots utiles des conservateurs et des réactionnaires. C'est un prétexte en or pour redonner quelques tours de verrous aux libertés et remettre au goût du jour des idées fascistes, c'est ça qui est fondamentalement inquiétant. La haine de la démocratie est la valeur montante de la contestation. Les progressistes sont sommés de se positionner sur des questions fixées par les conservateurs et les réactionnaires. La bataille culturelle est à l'avantage de ces derniers.

Ambiance plombante n'est-ce pas ?

C'est donc cette référence aux années de plomb qui me vient à l'esprit. Celles qu'a connu par exemple l'Italie dans les années 70-80, quand la mafia et les fascistes s'entendaient pour butter du gauchiste qui ne se laissait pas faire tandis que les gouvernements successifs démantelaient toutes les libertés individuelles en prétendant les défendre. C'est ainsi, à mon humble avis, que je verrai bien notre futur immédiat en France.

Que faire alors ?

Certainement pas désespérer, ce n'est pas le genre de la maison. Anticipons le pire et espérons le meilleur. Et pour anticiper le pire rien de tel qu'un simulateur de vol. C'est ainsi que parlait je ne sais plus quel intello à propos des livres. Les livres, et notamment les romans, sont des simulateurs de situations que l'on n'a pas forcément vécues. Repenchons-nous sur des périodes historiques craignos. Comment vivaient les gens, et surtout les militants, dans des époques où tout espoir semblait vain. Que pensait-on durant les années de plomb en Italie ? Comment vivait-on quand il était minuit dans le siècle, sous le stalinisme, sous l'occupation nazie ? Qu'est-ce qui faisait tenir le poilu au fond de sa tranchée ? Quels sentiments ressent-on sous le maccarthysme ou sous l'apartheid ?

Il ne s'agit pas de dire « vous voyez, il y a toujours pire », mais bien de prendre du recul, d'anticiper sereinement des événements exceptionnels et d'avoir déjà quelques idées possibles de réactions. En vrac voici quelques titres qui peuvent nous aider : L'Orchestre Rouge de Gilles Perrault ; Vie et Destin de Vassili Grosman ; La septième croix d'Anna Sehgers ; Une saison blanche et sèche d'André Brink ; Mémoire d'un rouge d'Howard Fast … ça marche aussi avec des films.

Il est donc temps pour tous les Gros Bébert de se décider à se bouger ou de se taire à jamais... mais on a quand même besoin de monde en ce moment.

Pour le reste, ici on change rien. Même si on était pas d'accord avec beaucoup de choses chez Charlie Hebdo, c'est un journal avec un symbolisme de gauche encore fort. Nous l'avions d'ailleurs mis dans nos références dans notre charte.

Donc on continue la provocation, l'irrévérence, la franchouaillardise, merde aux drapeaux, merde aux leaders charismatiques, merde à tous les crispés...

et Prout aussi !

2 commentaires:

Cyruil a dit…

"Charlie Hebdo, c'est un journal avec un symbolisme de gauche encore fort." c'est rigolo de voir que tu écris dans le post d'après que la ligne de Charlie est droitière. Pour ma part, c'est un peu le problème avec Charlie (et peut-être avec d'autres marqueurs de "gauche") : il devient caution de positions pas très à gauche pour un certain nombre de personnes parce que reconnu de gauche. Pour illustrer ce que je veux dire, il m'arrive qu'on me dise dans une discussion plus ou moins politique : "tu dis ça parce que tu es d' extrême-gauche". Ma réponse est toujours la même : " Non,je suis de gauche parce que je dis ça ." On ne se positionne pas de gauche pour ensuite dire des trucs. Or, même si ça me désole, Charlie n'est plus un journal de gauche. Et depuis 2008, quand je vois Charlie chez quelqu'un, je ne pars pas de l'a priori qu'il est de gauche.

Courant Anarcho-Droitier a dit…

D'accord avec toi Cyruil.

Cependant on peut être de gauche et droitier, ce blog en est la preuve.