mardi 31 octobre 2017

Pour une éducation politique aux médias et à l'information 1/2

Jadis les organisations politiques diffusaient de l'information de façon verticale. L'Humanité était l'organe central du Parti Communiste Français, tout comme l'ensemble de la presse jusqu'à la moitié du XXe siècle était présentée comme des organes de partis politiques. Ajoutez à cela des maisons d'éditions et des intellectuels estampillés conformes aux lignes partisanes, l'information politique circulait sans problème à travers des canaux bien balisés.

On ne se serait d'ailleurs pas autorisé, à gauche, à aller piocher et citer des sources de l'autre extrême bord politique alors qu'on côtoyait des camarades anciens résistants ou anciens déportés. Mais ça c'était avant.

Aujourd'hui avec le numérique, internet et le web 2.0, l'information déborde tous les cadres et est omniprésente. Les cadres d'ailleurs, certains s'en passent : doit-on donner la parole à Asselineau dans nos médias ? Doit-on écouter Chouard ? Mr Mondialisation est-il fiable ? Etc... L'info politique ne se limite plus aux médias officiels des orgas, ce qui n'est pas nécessairement un mal. Qui pourrait se contenter de la fadeur d'un Anticapitaliste ou des nouvelles réchauffées de l'Huma ?

Il est donc devenu indispensable d'apprendre à développer son esprit critique, sa culture du doute et à détecter les manipulations pour devenir un militant responsable. 


Avant de présenter, dans une deuxième partie, des critères pour analyser la fiabilité d'une information (politique de surcroît), rappelons - encore une fois – un principe fondamental : Non il n'y a pas de bonnes idées partout et Non on ne discute pas avec tout le monde. L'inverse est peut-être vrai en musique, littérature ou cinéma mais la politique n'est pas une querelle d'esthètes, c'est un combat.

Distinguons discuter/ débattre/ combattre à l'aide d'un bête dictionnaire. Discuter signifie « échanger des idées sur tel ou tel sujet », or nous n'avons rien à échanger avec des ennemis de classe. De plus discuter vient du latin discutere qui veut dire « secouer » et les secousses que cela nous évoque traduit bien ce que nous pensons de « discuter ». Débattre évoque le fait de discuter de quelque chose en examinant tous les aspects, soit, on veut bien faire ça entre camarades. Enfin combattre évoque : 1 « faire la guerre à quelqu'un » ; 2 « s'opposer à quelqu'un quelque chose, s'élever contre ; 3 « œuvrer pour soutenir, défendre, une cause, un point de vue ».

Politiquement nous combattons.


La suite demain...

lundi 23 octobre 2017

2017

Une tasse de café à la main, Patrick retourne en claudiquant s’asseoir à son bureau. Tandis que son ordinateur charge ses mises à jour, le vieil homme rallume un cigarillo abonné hier soir dans le cendrier. C'est l'heure de sa veille informationnelle. Il consulte ses mails, lit les derniers commentaires de ses différents blogs, survole les nouvelles notifications des sites inscrits dans ses favoris.

C'est encore le dossier sur la Syrie qui occupe la plus grande partie de son activité. Quelques internautes lui donnent toujours du fil à retordre en postant sur sa page facebook des récits de réfugiers ou des liens vers Amnesty International, le tout accompagné d'insultes variées. Rien qui ne puisse le décourager, sa technique étant de noyer ces posts sous une pluie de commentaires longs comme le bras, mais cela va lui prendre du temps. Puis Patrick consulte le nombre de vues sur ses sites et le nombre de partages et de retweet de ses propos et le sourire lui revient.

Quel chemin parcouru depuis tout ce temps ! Sa quête d'un auditoire avait été longue. Il repense à ses premières années de militantisme. Sa main se porte inconsciemment sur son oreille déchirée lors d'une raclée reçue au début des années cinquante par des brutes qui se prétendaient communistes. Puis son regard s'arrête sur sa canne posée près de lui. Elle lui est nécessaire depuis que des gauchistes lui ont cassé un genou après 68. Ce sont eux les vrais nazis, d'ailleurs 80% des collabos venaient de la gauche. De nombreux sites ont d'ailleurs repris sa théorie, élaborée il y a quelques années par vengeance. Beau succès.

Mais le succès n'avait pas toujours été là. Après avoir été excommunié de tous les réseaux de gauche, il avait tenté sa chance à l'extrême-droite. Les militants de ce bord écoutaient avec intérêt ses théories. Cependant il n'était pas de taille dans les conflits d'égo avec les chefs de ces groupuscules. Les années 80 avaient été une traversée du désert pour lui. Il ne trouvait d'auditoire qu'auprès de tristes sectes millénaristes ou d'associations d'ufologues. Tous les médias étaient tenus par les francs-maçons ou les banquiers de la City. Il en était venu à imprimer lui-même ses tracts et journaux qu'il allait distribuer devant les sorties du métro, partageant l'espace avec les témoins de Jéhovah, les seuls qui toléraient sa présence. Les passants l'ignoraient, se moquaient de lui ou exprimaient une commisération humiliante. Patrick avait fait une tentative de suicide en 1993.

Puis internet était apparu. Patrick y avait d'abord vu l'intérêt de pouvoir s'exprimer sans être en face d'interlocuteurs. Il s'était pourtant vite rendu compte de la formidable caisse de résonance de ce nouvel outil. L'espace était alors vierge, libre d'être colonisé par les premiers venus et Patrick était de ceux-là. Il pouvait enfin s'épanouir. Il n'informait pas, il créait l'information. Son plus grand plaisir était de prendre des faits, de les déformer, les passer à travers divers prismes, les raccourcis ou les associer avec d'autres événements indépendants. Ses créations monstrueuses prenaient alors vie car elles étaient lues, partagées, commentées, complétées.

De Milosevic à Bachar-el-Assad, il reliait tous les combats contre l'Empire. Il dressait des passerelles plus que branlantes entre Sankara et Kabila, Che Guevarra et Pol Pot, Cuba et l'Iran...

Il se délectait alors de voir les militants s'écharper à propos de ses thèses. A travers des avatars neutres, il observait les divisions, le temps perdu par les uns et les autres à vérifier ses assertions, les débats se briser dans la cacophonie. Il voyait les plus naïfs sombrer dans une paranoïa délirante qui l'impressionnait lui-même.

Bien avant cet age d'or, des enfoirés comme Antoine, Jacques, Nico, l'Increvable, avaient disparu corps et âmes dans les naufrages successifs de leurs courants politiques. Patrick lui, se sentait immortel.

D'humeur enjouée, il ouvrit une nouvelle page de publication : « ce n'est pas parce que le président Poutine dit qu'il pleut, qu'il ne pleut pas... »


samedi 21 octobre 2017

1969

Nico peut être content de lui, la réunion s'annonce comme un succès. L'arrière-salle du bistrot se remplissait de camarades. Il salua les frères Castagnet qui entraient à l'instant. Appelés aussi les frères Tapedure, ils étaient le fer de lance du SO de l'Orga. Depuis deux ans, ils s'étaient taillés une réputation de casseurs de rotules chez les militants d'Occident. Ils allèrent s’asseoir sous un portrait de Che Guevarra.

Le public est homogène. Il est constitué de jeunes hommes et femmes, lycéens et surtout étudiants, à l'exception des deux invités. Le premier est une légende. Tous l'appelle « l'Increvable », car condamné à mort pendant la guerre, à la fois par les allemands et par les staliniens des maquis communistes, il était toujours là pour en parler. Le second apporte une double caution : ancien ouvrier et exclu du PC. Patrick commençait à se faire connaître dans la presse gauchiste grâce des articles bien documentés sur l'impérialiste américain. Pour le moment, il attend son tour de parler en fumant des gitanes.

Nico doit s'y reprendre plusieurs fois pour commencer la réunion. L'assemblée est joyeusement turbulente et l'arrivée de chaque nouveau retardataire est prétexte à plaisanter. Enfin le calme s'installe et Nico présentent ses deux invités en insistant sur leurs origines sociales et leurs parcours politiques. L'assistance est impressionnée.

« Le thème de la réunion de ce soir est quelles stratégies pour vaincre les impérialismes », conclut Nico, « je passe d'abord la parole au camarade Patrick qui va revenir sur les événements de Prague de l'année dernière. »

Patrick commence à dérouler son exposé. Il présente rapidement la Tchécoslovaquie et son histoire puis dévie sur l'histoire des pays limitrophes, évoque le rapport Khrouchtchev, revient au PC Tchèque puis fait un historique de la CIA, avant de citer une foule d'auteurs inconnus. L'auditoire, bien qu'habitué aux dialectiques alambiquées, commence à avoir du mal à suivre.

« Ainsi la vérité est sous vos yeux, camarades » poursuit Patrick, « le pseudo socialisme à visage humain n'était qu'une manipulation des services secrets américains pour percer une brèche dans les démocraties populaires... »

Les militants les plus indulgents ricanent, les autres commencent à gronder.

« D'où tiens-tu ces infos ? » demande l'un deux.

« Des spécialistes internationalement reconnus en ont apporté les preuves dans la Pravda dès l'été dernier. Des agents provocateurs ont reconnu leur rôle... »

Le public siffle, des insultes commencent à fuser. Nico ne sais pas comment intervenir, l'Increvable observe la scène mi-surpris mi-atterré.

Un étudiant des beaux-arts se lève et interpelle Patrick : « t'es en train d'expliquer une agression impérialiste du point de vue de l'organe de presse de l'agresseur ? t'as pas l'impression que ça pose problème ? »

Patrick reste stoïque : «  il faut savoir mettre de côté ses préjugés idéologiques. L'ennemi le plus dangereux actuellement c'est l'empire américain. Aussi il faut savoir discuter avec tout le monde. Ouvrez-les yeux, ce n'est pas parce que Brejnev dit qu'il pleut qu'il ne... »

Une jeune femme s'avance vers lui et lui jette le contenu de son verre au visage : « stalino-fasciste, ça c'est pour les Tchèques morts pour le socialisme ». La salle applaudit.

Patrick bat en retraite et quitte les lieux en s'exclamant :  « voilà une belle preuve de sectarisme, libre à vous de faire le jeu de la CIA ! »

Les frères Tapedure se sont levés et, tout en enfilant leurs gants plombés, ils interrogent du regard Nico. Celui-ci hausse les épaules mais ne s'oppose pas à ce qu'ils sortent à la poursuite de ce pauvre type.

à suivre...


mercredi 18 octobre 2017

1953

Le public entre tranquillement dans la salle. Au fond de celle-ci, un drapeau tricolore et un drapeau de l'Union soviétique dominent une estrade. Trois hommes y sont installés. Les deux premiers sont de jeunes quadragénaires observés avec déférences par les militants présents.

L'un se prénomme Antoine, sous-officier durant la Bataille de France, il n'a pas attendu les ordres du Parti pour entrer en résistance, il finira chef de maquis à la fin de la guerre. Bien qu'indocile, le Parti a encore besoin d'afficher des patriotes tels que lui. Aussi est-il surveillé par son voisin, Jacques, ancien commissaire politique en Espagne, fidèle collaborateur d'André Marty, avant de se retourner contre lui l'année précédente. Résistant, ses activités restent pourtant inconnues avant 1944. Ce sont deux héros du Parti, deux tueurs de fascistes.

Le troisième personnage tranche avec ses voisins de tribune. C'est un jeune homme d'à peine vingt ans qui tente de se donner une contenance en tordant la bouche et fronçant les sourcils pour imiter Jean Gabin. Il tire nerveusement sur une cigarette qui le fait tousser, probablement une de ses premières. Ce récent adhérent de l'Union de la jeunesse républicaine de France, l'UJRF, prénommé Patrick, a été repéré par Jacques. C'est un jeune ouvrier curieux suivant des cours du soir qui pourrait être formé et constituer, avec d'autres, une nouvelle génération de cadres intermédiaires du Parti. Ce qui permettrait de se séparer des derniers emmerdeurs comme Antoine.

Le meeting commence par une courte introduction d'Antoine, puis comme le rituel le veut dans ce genre de manifestation à cette époque, on fait monter sur l'estrade quelques enfants de fusillés que le public applaudit chaleureusement. Jacques lit ensuite le compte-rendu du Comité Central. Pendant ce temps Antoine salut deux retardataires, des anciens de son réseau, Albert et Michel, ouvriers boulangers et colleurs d'affiches pour le Parti. Les deux lui sourient et lèvent des poings lourds comme des boules de pétanques.

« Maintenant, laissez-moi vous présenter un jeune camarade de l'UJRF, conclut Jacques, il va nous faire un compte-rendu de la campagne de soutien aux peuples d'Indochine en lutte contre les capitalistes français. »

Patrick prend ses notes et commence son discours par un classique « salut fraternel de la jeunesse ouvrière de France aux travailleurs socialistes du monde entier et au Génial Continuateur de Marx Engels et Lénine,celui que nous aimons tous... » le public applaudit de façon automatique. Les deux cadres du Parti écoutent distraitement l'exposé, chacun perdu dans ses préoccupations du moment. Patrick s'égare dans des énumérations géographiques et historiques sans grand intérêt.

« - Si vous le permettez, je vais aborder ce conflit de manière peu conventionnelle, s'interrompt Patrick...

Les deux cadres haussent un demi-sourcil, c'est une formule convenue mais voyons quand même ce qu'il va raconter...

« … ce que je vais vous dire là, vous le trouverez pas dans la presse bourgeoise.. » les deux cadres se détendent, mais pour quelques secondes seulement, « les combattants du Viêt-Minh ne sont pas des libérateurs, encore moins des communistes. Ce sont des troupes de pillards composées d'anciens collabo des japonnais ou des membres des triades chinoises. Le peuple indochinois soutient son empereur Bao Daï et veut majoritairement rester dans une alliance française. Je tiens ces informations de sources sûres, ce sont des enquêtes minutieuses d'experts de l'extrême-orient rapportées par le journal Rivarol... »

Antoine et Jacques soupirent mais pour des raisons différentes. Jacques imagine d'avance les savons qu'il va devoir passer aux militants de l'UJRF pour cacher sa propre responsabilité dans le choix de ce guignol. Antoine désespère en constant que l'assistance ne bronche pas. Malgré quelques regards perplexes, tous restent disciplinés et attendent une réaction des chefs à la tribune.

Jacques finit par taper du point sur la table : « ça suffit petit con ! ! Comment oses-tu venir ici faire de la provocation en citant un torchon d'anciens collabo ?!

A ce signal le public siffle et crie enfin contre le jeune homme.

Patrick ne se démonte pas : « C'est pas parce que Tixier-Vignancour dit qu'il pleut qu'il ne pleut pas !».

« Fout-le camp de cette estrade, tu insultes tous nos camarades fusillés ! » reprend Jacques, hors de lui, « quant aux branleurs de l'UJRF qui ne sont pas capables de discerner un agent provocateur, je vous garanti qu'ils vont m'entendre !».

Devant l'hostilité croissante, Patrick s'est décidé à quitter la tribune et sort de la salle par une porte latérale. Tandis que Jacques ramène le calme dans l'assistance, Antoine fait signe à ses deux compagnons, Albert et Michel : le gosse ne va pas s'en sortir à si bon compte. Les deux armoires à glace ont compris le message et sortent à leur tour, des manches de pioches dissimulés sous leurs manteaux...
à suivre...


vendredi 13 octobre 2017

A toi qui découvre ce blog

résumé des saisons précédentes

Tu te trouves ici dans ce qui était la boîte de nuit politique d'un nouveau parti anticapitaliste dont nous tairons le nom. On se déhanchait idéologiquement en sirotant du banga arrangé au rhum et on se moquait des vieux. Notre cible était, et est toujours, les curés rouges, ces militants qui n'aiment pas les gens, qui ont oublié que pour faire adhérer il faut convaincre mais aussi séduire. Le folklore, les messes et les postures aristocratiques, qu'elles soient religieuses ou politiques, ne sont pas de notre goût.

Nous pratiquons le rire sardonique. Nous faisons les clowns pour sauver la gauche radicale du ridicule. Nous prenons également note de ce qui fonctionne et de ce que l’on doit éviter dans nos pratiques militantes. Parfois on jette un œil sur ce qui se passe ailleurs.

Peu à peu, les uns et les autres sont partis dans d'autres soirées. La boîte de nuit s'est transformée en salon feutré où l'on se gaussait toujours de quelques bons mots. S'y retrouvaient encore certains retours d'expériences pratiquées au contact de nouveaux publics de militants. Les sur-politisés nous avaient saoulé, les dépolitisés arrogants nous ont effaré et sont aussitôt devenus une nouvelle cible.

Quelque peu mégalomanes, les anarcho-droitiers se sont un temps mis en scène dans leurs billets. Puis des personnages ont été crées pour illustrer les archétypes de militants dénoncés. Il y a Jean-Paul, communiste révolutionnaire et prof de math à Charleville-Mézières ; Léandre, petit anarchiste casse-couille pour vieux ; Gros Bébert ex-punk devenu skinhead pour cause de calvitie précoce ; Patrick le conspirationniste ; Albert Bouchignard militant PCF depuis bientôt 35 ans etc... Mais cette névrose commence à laisser place à une psychose puisque maintenant on parle vraiment à nos personnages... qui nous répondent !

Agacé par le marasme de la gauche radicale, pas complètement convaincu (c'est un euphémisme) par le populisme de gauche, autant faire des choses qui nous plaisent. Écrire des articles qu'on aurait envie de lire en fait partie.

Hasta la victo... bon bref vous avez compris !