vendredi 30 novembre 2018

Gilets jaunes et pudeurs rouges

On l’avoue, l’appel des gilets jaunes a d’abord suscité chez nous un agacement certain : comment des individus pouvaient-ils se mobiliser pour un produit polluant, le diesel, alors que les cortèges pour la défense des services publiques, le climat ou pour nos salaires sont trop souvent clairsemés ? On a d’abord ricané des messages maladroits et naïfs de certains, ironisant sur un nouvel engagement virtuel aux revendications déconnectées des enjeux climatiques. Bref, on a été à deux doigts de faire nos curés rouges.

Puis, une fois de plus, c’est le mépris affiché de certains de nos camarades envers le sujet, plutôt que le sujet lui-même, qui nous a convaincu de modifier notre approche de cet événement. On en a vu utiliser de faux profils pour troller les premiers groupes de gilets jaunes en orthographiant volontairement mal leur propos, c’était gênant.

Qu’aurait fait François Ruffin dans notre situation ?

Nous n’avons pas mis de gilet jaune mais nous sommes allés sur des points de blocage. Pour une fois nous avons fermés nos grandes gueules de gauchistes et nous avons écouté les participants. Muni d’un micro, nous avons interviewé une douzaine de personnes, prises au hasard, pour le compte d’une radio locale.


Nous avons pu parler avec des retraités, des artisans, des salariés d’entreprises privées, surtout des gens non engagés politiquement. C’est un public que nous côtoyons habituellement peu. Le 17 novembre en province l’ambiance était bonne enfant. Les gilets jaunes laissaient passer les ambulances, les infirmières et les voitures avec de jeunes enfants à bord. Aucun signe politique ou syndical n’étaient visibles bien entendu mais des banderoles et pancartes dénonçaient l’injustice des taxes. Nous avons vu un, peut-être deux drapeaux tricolores, on a perçu le début d’une Marseillaise mais on a aussi entendu dans des sonos On lâche rien d’HK et les Saltimbanks, Antisocial de Trust et Cayenne de Parabellum qui appartiennent clairement au folklore de gauche.

La première impression qui se dégage de ces entretiens, c’est un profond ressentiment d’injustice. Les manifestants ont l’impression, une fois de plus, de s’être fait arnaquer, cette fois-ci avec le diesel. On les a incité à acheter ce type de véhicule pour être ensuite taxés sur une dépense qui, pour beaucoup, est incompressible. Tous, et nous insistons bien là-dessus, tous les gens rencontrés, interrogés au hasard, tous nous ont soutenu que les plus riches pouvaient être taxés avant eux. Les riches, individus ou entreprises, pas les immigrés ou les chômeurs, les riches. Certains reprenaient le slogan de François Ruffin « Rend l’ISF d’abord ». Personne n’était contre l’écologie. Si on a rencontré quelques climato-sceptiques, la plupart étaient d’accord d’agir pour la planète, mais pas en étant sanctionné.

Nous sommes conscient de n’avoir vu qu’un infime échantillon de la mobilisation. Nous pensons aussi que les gilets jaunes sont différents d’une région à l’autre, tant dans leur sociologie que dans la hiérarchie de leurs revendications prioritaires. Le pire côtoient le meilleur. Il va des fils de putes qui dénoncent des migrants à Flixecourt jusqu’à la haie d’honneur faite par les gilets jaunes au cortège contre les violences faites aux femmes à Montpellier. En fait ceux-ci veulent abandonner les étiquettes politiques mais les clivages se reforment naturellement. On retrouve une aile gauche qui veut rétablir l’ISF et une aile droite qui veut une politique de reconduite aux frontières plus efficace.

Nous sommes également conscient que c’est un mouvement qu’on nous survend. Huit mille personnes en manif à Paris le 24 novembre? C’est pas énorme au regard de ce que peuvent mobiliser les syndicats :le 31 mars 2016 160 000 personnes défilaient à Paris contre la loi Travail (selon les organisateurs, m’enfin quand même!)

Cependant nous sommes convaincus que c’est un public compatible avec les propositions qu’ont exprimé plusieurs syndicats et partis de gauche, résumé par l’appel des « gilets verts » : développement et gratuité des transports en commun, réouverture des petites lignes SNCF, taxation de marchandises aérien et maritime, développement des circuits courts, captation de l’évasion fiscale pour financer une transition sociale et écologique…

A quoi bon arborer ses médailles d’antifascisme dans des milieux où il n’y a pas de fachos ?

Quel gâchis alors de voir une fois de plus l’aristocratie militante faire la fine bouche sur cette mobilisation. Oui il y a des fachos dans les rassemblements (on en a croisé) mais pas plus que ce qu’ils représentent ailleurs. Ce sont les militants politiques de gauche qui manquent à l’appel. Les gilets jaunes sont un terrain en friche et au prétexte qu’il y a des mauvaises herbes, les révolutionnaires puritains refusent de l’investir. C’est pourtant une ligne de front, c’est là qu’il faudrait pousser les revendications de justice sociale, de lutte des classes, c’est là qu’il faudrait faire refluer les expressions de racisme et d’homophobie.

Ou quand Nuit Debout rencontrerait les Gilets Jaunes… à condition de ne mépriser personne.



mercredi 14 novembre 2018

The anticapitalist expendables

Cet article partait avec des intentions sérieuses. Il devait s’intituler « De l’outrance » et traiter des excès de langages de Mélenchon et du populisme de gauche. On avait même lu un article de Roger Martelli en entier pour préparer ce texte. Les trois premiers paragraphes ci-dessous allaient dans ce sens. Et puis, que s’est-il passé ? Nous nous sommes laissés déborder par notre imagination puérile...

Voyez comme nous avons pris le temps avant de réagir à l’actualité mélenchonnienne. Tourner sept fois ses pouces avant de taper sur son clavier. Si tous les trolls s’astreignaient à cette discipline, Internet serait un salon cosy peuplé d’érudits courtois.

Les coups de gueule du chef de la France Insoumise plaisent à certains et en heurtent d’autres, en gros elles clivent. Et comme à chaque fois, le fan-club mélenchionnien cherche à l’imiter et l’on tombe alors dans la caricature de la caricature.

Notre conviction est que les gens vont se lasser de ces personnages gueulards et outranciers, comme ils se sont lassés des technocrates lénifiants. L’avenir reviendra peut-être, et c’est notre souhait, aux vieux sages rassurants, du type Jeremy Corbyn ou Bernie Sanders. Encore qu’en France des vieux sages à la Bernie Sanders on en voit pas beaucoup depuis la disparition de Daniel Bensaid.

A moins que celui-ci n’ait développé des pouvoirs psychiques qui lui permettent de réapparaître en fantôme comme les Jedis dans Star Wars.

Ou alors, oh wait …

Ou alors, afin de contenter tout le monde, il faudrait que tous nos stéréotypes d’hommes et femmes politiques de notre bord fassent équipe. On appellerait ça la AntiK-Team, l’équipe Anticapitaliste. Il y aurait :


Le vieux sergent bourru : toujours de mauvaise humeur, il ne sait communiquer qu’en râlant. Il tient même des propos parfois limite sur les élites ou les immigrés mais on l’aime bien quand même. C’est notre Sergent Hartman ou Tom Highway à nous.


Le badass : il décapsule avec les dents une bouteille de Kwak, qu’il engloutit cul-sec avant d’aller retourner tout seul une sous-préfecture. Il n’a peur de rien, il vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi.




Le beau gosse : personne d’autre que lui ne sait porter une casquette de postier avec autant de swag. Il ne veut s’unir avec personne mais c’est parce qu’il cache une terrible blessure sentimentale secrète. Ça le rend encore plus craquant. Les filles sont sous le charme, leurs mères aussi.





Le side-kick rigolo : il ne peut pas être le héros à lui tout seul mais il sait se rendre indispensable. C’est le meilleur copain du Beau Gosse, c’est aussi son faire-valoir. Toujours la blagounette au coin de la bouche pour détendre une atmosphère, on se souvient de son « il n’y a pas d’immunité ouvrière!» .



Le geek cool : comme un geek, il a son look propre à lui, des t-shirts militants ou des maillots de foot. A côté de ça, il bosse ses dossiers à fond. Il écrit et publie son propre journal, il investit les réseaux sociaux. C’est un bourreau de travail mais qui a su rester sympa.


La psycho-rigide : elle est spécialiste en combats rapprochés rhétoriques. Elle dédit toute sa vie à la lutte. On ne lui connaît aucune faille ni aucune passion. Le side-kick rigolo est amoureux d’elle mais se prend régulièrement des gros râteaux, ça en devient un runing gag.




La dernière survivante : elle a survécu à tous ses amis qui ont été éliminés par les curés rouges slashers. Elle n’a plus peur de rien et saura conseiller son équipe pour éviter les pièges de la division et du sectarisme. Vous voyez le lieutenant Ripley ? Eh ben pareil mais en mieux...




Mamie Gâteau : c’est la pause tendresse qui permet à la AntiK-Team de souffler un peu entre deux aventures. Elle est pleine de bon sens et trouve que « le monde ne tourne plus rond ». Elle dit aussi d’un ton très doux : « quand on voit les excès du CAC 40 on se dit que les gens sont devenus fous ». C’est Suzanne Flon dans Les enfants du Marais, on l’aime bien.


L’apprenti-champion : il est encore jeune et timide. Il n'ose pas encore gueuler très fort pendant les perquisitions au siège de son mouvement mais il a de la passion et beaucoup de potentiel. Il commencera par oublier de se raser, puis sa chemise sera froissée, bientôt il se mettra à fumer nerveusement des Gauloises sans filtre. Enfin, il tiendra tête au Sergent Bourru. Bref il va s’aguerrir au fil des aventures.  



La guerrière amazone : elle balance des coups de boule polémiques ou des coups de sabre politiques. C’est le pendant féminin du Badass. La légende raconte qu’elle a des couilles… plusieurs paires arrachées à ses ennemis qu’elle porterait en pendentif sous son chemisier. Le personnage de Michonne dans Walking Dead est directement inspiré d’elle.



L’intello sexy : « la plume est plus forte que l’épée », telle pourrait être sa maxime. Ses combats, elle les mène dans les colonnes de Regards ou Politis. Souvent rabrouée par le Sergent Bourru, il lui en faut cependant plus pour être impressionnée.




Le clown triste : toujours pessimiste, il ne cesse de gémir que « l’équipe n’y arrivera jamais j’vous aurai prévenu ». Il se plaint aussi que personne ne l’écoute. C’est lui qui va mourir en premier.

 


On peut enfin terminer par les vieux loups de mer : ils ont une grande connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier mais ils sucrent un peu les fraises. Les deux passent leur temps à s’engueuler. Tandis que le premier s’emmêle les pinceaux avec tweeter, le second se croie encore en 1968. Plus personne ne les écoute. Ce sont les Statler et Waldorf de l’Anti-K Team.

Après plein d’aventures, on verrait la Cinquième République s’écrouler dans des geysers de flammes. Nos héros marcheraient au ralenti face camera sur la chanson de Back in Black d’AC/DC.



Sans déconner…