dimanche 25 mai 2014

Pandas et porte-à-porte.

Je me souviens d'une passionnante discussion que j'avais eu avec feu mon camarade Romain. Nous étions assis au bord du fleuve Jinsha Jiang, dans la province du Sichuan en Chine. Nous sirotions du thé au Jasmin en attendant que notre guide-interprète, la délicieuse Pan Shuang, nous prépare des pipes d'opium.

C'était l'époque où Romain et moi chassions le panda dans la réserve naturelle de Wolong. Ne prenez pas ces airs offusqués : des sentiments éco-humanistes nous habitaient. Le panda est un animal très intelligent, nous en convenons. Il est si brillant qu'il a compris que notre planète était foutue. Le pire étant devant nous, il refuse de voir une de ses descendances potentielles subir la lente agonie qui attend les autres espèces vivantes. Sage animal qui a fait le choix courageux de refuser de se reproduire. Or des scientifiques sans âmes et des écologistes aux vues courtes s'acharnent au mépris de l'avis des intéressés à perpétuer cette espèce. Il était de notre devoir d'aider ce noble plantigrade ursidé à s'éteindre le plus vite possible. Si vous émettez encore quelques réserves parce que, selon votre petite sœur, ''le panda il est cromignon'', je vous garantie qu'un panda se trainant sur le sol avec deux décharges de chevrotines dans le bas-ventre a perdu cet aspect peluche en même temps que toute dignité...

Ici commence le vrai article :

Mais ce n'est pas de panda que je souhaitais vous parler. Romain évoquait ce soir là un changement de paradigme provoqué une fois de plus par l'évolution des pratiques sociales liées à internet. La sphère intime de chaque individu, affirmait mon vieux compagnon, se barricaderait de plus en plus : l'espace abandonné aux réseaux sociaux serait compensé par une ostracisation accrue de son espace physique privé. Ainsi il deviendrait plus difficile dans le domaine politique d'intervenir directement auprès d'un individu lambda, que ce soit lors de distribution de tracts sur la voie publique ou en porte-à-porte. Pour faire plus simple, Lambda ne voudrait pas être dérangé dans sa bulle, pire, il ne comprendrait plus qu'on puisse le déranger dans sa bulle.

Il se trouve que je sors d'une période de porte-à-porte assez intense durant la campagne municipale. Je n'ai pas ressenti ce choc de cultures entre militants old school et concitoyens 2.0. Peut-être est-ce dû au fait de vivre et militer dans une petite ville de province ?

Je n'avais pas fait de porte-à-porte depuis la fac. Et encore, à cette époque, nous autres gauchistes étudiants le pratiquions uniquement en cités universitaires, c'est à dire auprès de nos pairs, auprès de jeunes avec qui nous partagions une culture commune. On rencontrait des potes d'amphi, on s'arrêtait à boire un ou deux ou trois apéro puis on se disait que le porte-à-porte pouvait être remis à plus tard et on roulait un truc dans des feuilles OCB merci bonsoir... Pas de ça dans la vrai vie. Le porte-à-porte en ville et en quartier populaire c'est le corps à corps du militant politique, l'électeur à convaincre on lui voit le blanc des yeux.

Je n'aime pas ça, mais alors absolument pas. Je suis un garçon timide. Pourtant je l'ai fait. Et mon esprit tordu d'anarcho-droitier n'a pu s'empêcher de prendre des notes en regardant faire mes camarades.

Quand bien même mon pote Romain (que le grand Karl parfume sa mémoire) aurait raison, ce n'est pas parce que le porte-à-porte serait une pratique en déclin qu'il faudrait l'abandonner complétement. Comme toute pratique en déclin il faut redéfinir son objectif et resegmenter son marché. Cette opération ne doit se faire que très ponctuellement, pour ne pas saouler Lambda, d'autant plus que c'est une pratique extrêmement chronophage et épuisante. Mais elle doit être pratiquée régulièrement (tous les deux ans, trois ans?) pour s'inscrire comme une pratique normale bien qu'exceptionnelle.

Voici donc quelques conseils et remarques :

● Le porte à porte est une activité fatigante, je viens de le dire. C'est un travail à la chaine où l'on répète sans cesse le même discours. J'ai remarqué en ce qui me concerne, et certains camarades m'ont dit ressentir la même chose, que cette action répétée finissait par avoir un effet euphorisant : on rigole et on finit par cabotiner. Aussi ne faites jamais plus de deux heures de porte-à-porte d'affilée, on est moins productif et je ne suis pas partisan du militantisme sacerdotale.

Habillez-vous correctement. Pas de veste militaire, de T-Shirt Anarchie en Chiraquie, pas de badges, pas de look hippie ou surfeur... « correctement » veux dire ici « neutre ». Nous ne sommes pas là pour choquer qui que ce soit. Certains camarades pensent que la chemise-cravate permet une écoute plus facile et respectabiliserait les idées présentées. Je ne suis pas convaincu, j'ai peur que cela dresse une barrière entre militant et résident.

Ne faites jamais, évidement, du porte-à-porte seul. On a l'air d'un looser qui n'a pas d'amis. Ne le faites pas à trois non plus, le résident interpellé se sentirait envahi et se bloquerait d'office à toute écoute. Donc le faire à deux. L'un et l'autre peuvent se relayer à chaque porte et chacun s'économise.

L'idéal est d'avoir un duo mixte, en sexe et en âge. Le résident a plus de chance de reconnaître un pair dans l'un de ses interlocuteurs. Un autre avantage de faire du porte-à-porte avec un ou une camarade retraité, c'est que les gens ouvrent plus facilement, surtout les personnes âgées.

Frappez à la porte (ou sonnez) et faites un pas en arrière afin que le résident, en ouvrant ne se retrouve pas nez à nez avec vous et soit surpris et intimidé. De plus, vous devez rester dans sa sphère sociale (entre 1,2 et 3,5m voir schéma) et ne pas rentrer dans sa sphère intime. Ceci serait considéré comme agressif venant d'un inconnu.

Souriez et présentez-vous (au moins un prénom)

Ne vous excusez jamais pour le dérangement. On ne dérange pas, on vient présenter des idées politiques géniales (dans les faits, bien sûr qu'on les dérange, mais c'est inutile de le faire remarquer, ce serait se présenter sous un angle négatif)

Ne soyez pas intrusif, pas de question du genre pour qui votez-vous? Le résident n'a pas à se justifier, il est chez lui.

Ne venez pas les mains vides, ayez un tract à donner et un rendez-vous à proposer (meeting, manif, date du vote...) c'est votre prétexte pour avoir sonné à la porte.

Vous avez une chose à dire, pas mille. Faites des phrases simples et courtes. L'entretien doit prendre cinq minutes maximum. Ce n'est pas parce qu'un résident est poli avec vous et qu'il vous écoute avec le sourire qu'il a envie que vous restiez à développer tout votre programme politique.

Il est inutile d'engager un débat avec un résident aux idées opposées aux vôtres mais ouvert à la discussion. Vous ne le convaincrez pas et vous perdrez du temps. De même si vous tombez sur un papy ou une mamie qui a envie de vous raconter sa vie, fuyez !

Le ou les candidats doivent évidement participer le plus possible à ces porte-à-porte.

enfin, le plus important, choisissez les quartiers que vous allez prospecter en fonction des scores électoraux précédents. Choisissez en priorité ceux qui vous sont le plus favorable. Ignorez les quartiers de droite même s'il y a beaucoup d'abstention. Les abstentionnistes se découplent comme le quartier, il y a autant d'abstentionnistes de droite que de gauche (c'est une idée-reçue de gauchistes de croire que si les gens ne votent pas c'est qu'ils attendent la révolution).

Le but d'un porte-à-porte est de mobiliser son électorat. Il sert à envoyer voter ceux qui sont déjà susceptible de voter pour vous. Il faut les motiver en leur montrant qu'il existe déjà des militants motivés : des militants qui leurs ressemblent, qui ne les effraient pas et qui ne les embêtent pas (trop). Votre entretien est donc là pour laisser une bonne impression. Le porte-à-porte se fait au moment de campagnes, et les campagnes électorales locales s'y prêtent bien. On pourrait cependant expérimenter aussi du porte-à-porte lors de mouvements sociaux pour rassembler des habitants pour des manifestations...mais point trop n'en faut.



Post-scriptum : évidement, si c'est un panda qui vous ouvre sa porte, ne perdez pas de temps à vous interroger sur l’incongruité de cette situation, tuez-le !

samedi 24 mai 2014

Encéphalogramme

Dans le sous-sol du Fight Club. Rien n'a changé depuis le sinistre dernier billet du blog. Meubles brisés, dossiers éventrés et ordinateurs HS sont recouverts de poussière. Des toiles d'araignées obscurcissent le passage. Seul le clapotis d'une canalisation percée trouble le silence sépulcrale de ce qui fut jadis le blog de gauche le plus cool. Trois silhouettes descendent prudemment l'escalier.

Le premier individu : j'vous dit que j'ai entendu quelque chose et j'ai encore rien fumé aujourd'hui !

Le second individu : putain Léandre tu deviens parano ! Ça devait être un spam, plus personne n'est venu ici depuis huit mois.

Léandre : tu commences à me gonfler, Bébert, avec ta dialectique matérialiste... et toi Jean-Paul t'as rien entendu ?

Jean-Paul : j'ai rien entendu, j'ai rien vu et je ne suis pas mandaté pour descendre dans cet ancien repère de droitiers petits-bourg...

Gros Bébert l'attrape par le col et le force à le suivre.

Gros Bébert : tout le monde descend ! On récupère quelques vieux billets, on fait des copier-coller, on remonte et c'est marre !

Les trois camarades s'avancent à la lumière de lampes torches. Ils fouillent du bout des pieds dans les cendres froides d'un passé glorieux. L'un ramasse des vinyles de la BO du courant anarcho-droitier; l'autre feuillette des revues difficilement compatibles avec des principes antisexistes; le dernier secoue de vieilles bouteilles dans l'espoir hypothétique d'y déceler un fond de liquide.

Gros Bébert : Cognac de la maison Gautier ? Ils ne se refusaient rien les anarcho-droit...

[bruit d'un truc métallique qui tombe, cliché des films d'angoisse, certes, mais toujours aussi efficace]

Léandre pâle: là j'suis pas conspirationniste, vous avez entendu comme moi ?

Jean-Paul livide: alors c'est peut-être pas très orthodoxe mais je soumet là maintenant une motion pour quitter sans délai cet endroit. J'ai une boule au ventre comme avant de faire cours aux 4ème B. Moi j'ai pas honte de le dire, j'ai peur.

Gros Bébert nerveux : et dire que ça se dit prêt à se lancer dans la lutte armée ! Paie tes bolchéviques ! S'adressant aux ténèbres Y a quelqu'un ? Guillaume ? Romain ? Vous êtes là ?

Léandre : ça peut pas être eux, ils ont disparu depuis septembre dernier !

Gros Bébert : et à ton avis qu'est-ce que c'est ? Des spectres ?

Léandre : fantômes, extra-terrestres, voyage dans le temps... tout était possible sur ce blog. Je vote pour la motion de JP, donc on remonte ?

Jean-Paul pleurnichant: … et j'aimerai rajouter une clause de confidentialité rapport à mon pantalon qui s’humidifie.

Gros Bébert : non mais je rêve ! Regarde-toi Léandre ! Tu te prends pour le Che parce que t'as la barbe mais t'es juste un hipster avec un keffieh !

Léandre perfide : ben et toi alors ? Tu te la racontes en fier guerrier skinhead mais tu t'es surtout rasé le crâne pour cacher ta calvitie... comme Soral.

Gros Bébert : répète un peu pour voir !

Léandre : parfaitement !

[un rire sarcastique se répand en échos contre les parois du blog]

Jean-Paul paniqué : y a de l'activité ici ! Par pitié raccompagnez moi en haut !

[des bruits de pas résonnent et se rapprochent du groupe]

Léandre : je...je tiens à rappeler à l'auditoire encore sceptique ici présent, que les militants comme nous étaient les principales victimes du Fight Club. Libre à chacun de rester ici et de se faire à nouveau déchiqueter mais moi je raccompagne le trotsko incontinent !

Gros Bébert paniqué : on se barre... rendez-vous sur le forum marxiste !