lundi 25 août 2014

Trotsky, les trotskistes et les trotskismes

Longtemps j'ai eu du mal à avoir des discussions sereines sur Trotsky et le trotskisme. D'un côté les militants du PCF me résumaient d'une phrase lapidaire leur inculture politique :  « les trotskistes c'est des anti-communistes » ; de l'autre les JC se la jouaient néo-staliniens pour cacher qu'ils n'ont pas de muscles. Il y avait aussi les anars, mais ils défendent tellement mal leur purisme révolutionnaire que tout en faisant semblant de les écouter, je m'imaginais artilleur dans l'armée rouge pilonnant Cronstadt.

Heureusement, Krivine et Bensaïd me réconcilièrent un peu avec le trotskisme. La position pragmatique de Krivine me convenait très bien : « je suis trotskiste quand on attaque les trotskistes ». Bensa publia un livre sur « Les trotskysmes », vision plus honnête d'une terminologie que se partagent des dizaines de chapelles incapables de s'entendre entre elles.

Je ne prête l'oreille ni aux cocos ni aux anars, mais Henri Guillemin, je l'écoute attentivement avec mon doudou contre la joue et en suçant mon pouce. L'historien a consacré des conférences pour la radio autour de Lénine, Staline et Trotsky. Grand-Père Henri n'était pas du genre à dissimuler des faits pour mieux illustrer une hypothèse, soyons lui reconnaissant de cette intégrité intellectuelle.

Ainsi Henri Guillemin semble bien avoir de la sympathie pour Trotsky, ce qui ne l'empêche pas de présenter des éléments qui écorne la légende du gentil révolutionnaire cherchant à sauver l'honneur du communisme contre les méchants staliniens. J'ai longtemps donné dans ce manichéisme bon enfant puis je me suis rasé la barbe. Chacun sait qu'un temps de rasage quotidien favorise l'introspection. Or deux trois trucs m'ont rapidement dérangé chez les trotskos, à commencer par le culte de la personnalité qui entoure l'ancien chef de l'armée rouge, on en parlait déjà dans un autre billet.

Henri Guillemin présente Trotsky à partir de textes de Lénine et de sa veuve Nadejda Kroupskaïa, de documents de congrès et des bulletins rédigés à partir de son exil. Trotsky est issu d'une famille bourgeoise, il rejoint tardivement les bolchéviques, très bon orateur, très bon théoricien, il est très populaire dans l'armée rouge qu'il a fondé mais il n'est pas apprécié dans la classe ouvrière russe. Après 1917, il est un membre de l'aristocratie bolchévique, qui part en cure dans un train de luxe puis en datcha pendant que les peuples de Russie meurent de faim.
 Henri Guillemin relève que c'est un chef sévère pour qui fusiller est la réponse à beaucoup de problèmes. Cela peut encore s'excuser en temps de guerre civile mais l'ami Léon entendait bien appliquer ces méthodes de management à la vie civile en « militarisant la classe ouvrière ». Pas question pour lui de voir des syndicats indépendants. Trotsky maître de l'URSS n'aurait peut-être pas été aussi bourrin que Staline, on aurait peut-être évité les purges de la vieille garde révolutionnaire, mais ça n'aurait pas été non plus la fête du slip.

Au début des années 1920, Trotsky eut plusieurs opportunités d'éparpiller Staline façon puzzle, il ne les saisit pas ou fit marche-arrière à mi-chemin, petite bite. La suite est connue : l'exclusion du parti, l'exil, la déchéance de la nationalité russe, la IVème Internationale, le Mexique, le piolet.

Mais l'élément majeur apporté par Henri Guillemin dans la conférence que j'aurai le plaisir de vous faire partager à la fin de ce billet, est d'affirmer qu'à la fin de sa vie Trotsky se rapprochait des positions de Staline. Le pacte germano-soviétique ? Il n'est ni absurde ni stérile, écrit-il. La guerre d'agression contre la Finlande ? Trotsky regrette seulement que les russes piétinent. Enfin, au printemps 1940, il se demande : « Dans les circonstances présentes, la classe ouvrière n'a-t-elle pas le devoir d'assister les démocraties, même avec leurs défauts, contre le fascisme allemand ? » et sa réponse est cinglante :  « Cette idée nous la repoussons avec indignation ». Je connaissais déjà cette position défendue par les militants de Lutte Ouvrière dont le fondateur Barta, voyait en 1944 la résistance comme « une duperie de la collaboration de classe ». C'est l'un des deux trois trucs dérangeants dont je vous parlais plus haut. Comment s'étonner aujourd'hui de la frilosité à mener des actions unitaires chez certains groupes issus du trotskisme ?

C'est justement parce que Trotsky se rapprochait des positions de Staline, c'est à dire des positions de l'État soviétique, que ce dernier le fait assassiner en conclut Henri Guillemin. Ancien glorieux chef de l'armée rouge, Trotsky pourrait faire figure de sauveur providentiel en cas de débâcle militaire russe contre les nazis.

Trotsky est une icône « de ceux et celles qui ont cherché avec passion à sauver l'honneur du communisme révolutionnaire » comme disait Daniel Bensaïd. Mais c'est une icône parce qu'il n'est pas resté longtemps au pouvoir, et de toute façon je n'aime pas les icônes. Loin de moi pourtant l'idée de rejoindre la meute grossière des anti-trotskistes. Je cherche à appliquer un principe énoncé par un ex à moi qui s’appelait NPA, à savoir  « prendre le meilleur du mouvement ouvrier ». Le meilleur du trotskisme c'est sans doute son analyse des dérives bureaucratiques, sa résistance à l'usure du temps et – meilleur et pire à la fois – son acceptation romantique d'éternel vaincu.