En
ce moment, les informations sont pour le moins anxiogènes. Je ne
parle pas d'Ebola ou des islamo-nazis de Daech, sur ces sujets je
suis comme vous : j'assiste à leur évolution en regardant le
Zapping, je m'en désole et je me ressers des pâtes. Je parle bien
évidement de la situation politique de notre doux pays.
Le
torchon vichyste d’Éric Zemmour est en tête des ventes en
librairies, ayant dépassé les ventes du dernier Harlequin d'une
ex-première dame encornée, c'est dire le niveau culturel des
lecteurs français. Sur internet les vidéos de Soral et Dieudonné
franchissent tranquillou les trois cent milles visites avec des pics à
un million.
Marine
Le Pen est à 43% de bonne opinion dans les sondages et le FN a fait
son entrée au sénat. Le PS estime que sa seule chance de gagner la
présidentielle de 2017 est de couper l'herbe sous le pied de la
droite en appliquant le programme de celle-ci. Nous avons ainsi la
« gauche » de gouvernement la plus à droite de
l'histoire : ça tape sur les chômeurs, les roms, les immigrés,
les musulmans...les syndicalistes et les fonctionnaires ne devraient
pas tarder eux non-plus à se prendre une avoinée. Stratégie
politique visiblement inefficace puisque Le Pen est donnée présente
au second tour des présidentielles dans tous les cas de figure et
même victorieuse face à Hollande.
La
bataille culturelle semble à l'avantage de la droite borderline
fasciste. L'esprit de solidarité reculerait. On intègre l'idée que
le chômeur est responsable de sa situation. Les manifestations de
masse sont celles des familles catholiques réactionnaires. A Calais
des milices de citoyens se créent pour traquer du clandestin. Youpi
tralala lalère...
Ainsi
l'angoisse monte parmi les militants de gauche. Revivons-nous de
nouvelles années 30 ? Serions-nous à la veille d'une prise de
pouvoir par l'extrême-droite ? Doit-on quitter le pays tant
qu'il est encore temps ?
Non,
non et trois fois non. N'ayez aucune inquiétude, vous pouvez
poursuivre une activité normale.
En
effet, reprenons nos classiques. Feuilletons quelques pages de l'ami
Léon Trotsky, maltraité par mon hémisphère droit lors du précédent billet, ou mieux encore Daniel Guérin dont la
passionnante étude Fascisme et Grand Capital va
bientôt reparaître aux éditions Libertalia. Que sait-on du
fascisme ?
« C'est
en dernier recours que les magnats de l'industrie lourde et les
grands propriétaires fonciers encouragent financièrement et
politiquement le développement du fascisme. Ils le font parce que
leurs intérêts financiers et économiques sont menacés et que les
démocraties libérales ne sont pas en mesure de les défendre. »
Pour
paraphraser et compléter, les milieux d'affaires utilisent la carte
du fascisme pour se protéger d'éventuelles menaces sur leurs
intérêts. Cette menace serait celle d'une mobilisation sociale
populaire visant à récupérer les richesses spoliées par le
Capital. En gros la carte brune contre la carte rouge, plutôt Hitler
que le Front Populaire, je ramasse mon point Godwin et je poursuis.
Or
voyez-vous une menace rouge aujourd'hui en France ? Y aurait-il
un début de frémissement de mobilisations sociales ?
Lisez-vous de la peur dans les yeux de Gattaz ? Bien sûr que
non.
Le
Front de Gauche est à l'agonie. Le PCF tient absolument à conserver
son titre de champion du monde du cul entre deux chaises et navigue
dans un univers parallèle. J'ai ainsi rencontré le week end dernier
des militants convaincus que Pierre Laurent seul dépasserait le
score de Mélenchon aux prochaines présidentielles. Le PG s'enferme
dans une posture de petits gardes rouges, posture efficace si cela
marchait mais ça ne marche pas, je ramasse mon point La Palice et je
poursuis. Philippe Poutou quitte le Comité Exécutif du NPA, fatigué
de cet aréopage de curés rouges et autres aristocrates de gauche,
parisiens de surcroît. Lutte Ouvrière continue à distribuer des
tracts ronéotypés à l'entrée des usines par temps de pluie parce
qu'ils ont toujours fait comme ça.
Vous
voyez : tout va bien. Tant que nous nous focalisons sur nos
petites querelles, tant que nous sommes convaincus que notre trou du
cul est plus pur politiquement que celui de notre voisin, nous ne
menaçons pas grand monde. Prenons donc bien soin de poursuivre la
construction de nos petites divisions : intellos contre prolos,
bobos contre beaufs, citoyens immaculés contre vilains militants
politiques, LGBTI contre hétéronormés, ceux qui croient au ciel
contre ceux qui n'y croient pas...
Inutile
donc de convoquer un régime autoritaire, ni milices ni commissaires
politiques. Patronat et bourgeoisie n'ont pas besoin du fascisme pour
démolir un mouvement révolutionnaire, on le fait très bien nous
même.
Notre
médiocrité est peut-être bien la garantie de notre survie.
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Le lapin de gauche |