vendredi 10 mai 2013

Cimourdain

Fidèle lecteur de notre blog, un jeune auteur nous a fait la gentillesse de nous envoyer un extrait d'un de ses ouvrages où il est question à sa manière de curé rouge. La ressemblance avec notre étude est frappante.  Bienvenue donc à Victor Hugo

Extrait de Quatrevingt-treize, deuxième partie, livre premier, chapitre 2 :

Cimourdain était une conscience pure, mais sombre. Il avait en lui l'absolu. Il avait été prêtre, ce qui est grave. L'homme peut, comme le ciel, avoir une sérénité noire; il suffit que quelque chose fasse en lui la nuit. La prêtrise avait fait la nuit dans Cimourdain. Qui a été prêtre l'est.

Ce qui fait la nuit en nous peut laisser en nous les étoiles. Cimourdain était plein de vertus et de vérités, mais qui brillaient dans les ténèbres.

Son histoire était courte à faire. Il avait été curé de village et précepteur dans une grande maison; puis un petit héritage lui était venu, et il s'était fait libre.

C'était par-dessus tout un opiniâtre. Il se servait de la méditation comme on se sert d'une tenaille; il ne se croyait le droit de quitter une idée que lorsqu'il était arrivé au bout; il pensait avec acharnement. Il savait toutes les langues de l'Europe et un peu les autres; cet homme étudiait sans cesse, ce qui l'aidait à porter sa chasteté, mais rien de plus dangereux qu'un tel refoulement.

Prêtre, il avait, par orgueil, hasard ou hauteur d'âme, observé ses vœux; mais il n'avait pu garder sa croyance. La science avait démoli sa foi; le dogme s'était évanoui en lui. Alors, s'examinant, il s'était senti comme mutilé, et, ne pouvant se défaire prêtre, il avait travaillé à se refaire homme, mais d'une façon austère; on lui avait ôté la famille, il avait adopté la patrie; on lui avait refusé une femme, il avait épousé l'humanité. Cette plénitude énorme, au fond, c'est le vide.

Ses parents, paysans, en le faisant prêtre, avaient voulu le faire sortir du peuple; il était rentré dans le peuple.

Et il y était rentré passionnément. Il regardait les souffrants avec une tendresse redoutable. De prêtre il était devenu philosophe, et de philosophe athlète. Louis XV vivait encore que déjà Cimourdain se sentait vaguement républicain. De quelle république ? De la république de Platon peut-être, et peut-être de la république de Dracon.

Défense lui étant faite d'aimer, il s'était mis à haïr. Il haïssait les mensonges, la monarchie, la théocratie, son habit de prêtre; il haïssait le présent, et il appelait à grand cris l'avenir; il le pressentait, il l'entrevoyait d'avance, il le devinait effrayant et magnifique; il comprenait, pour le dénoûment de la lamentable misère humaine, quelque chose comme un vengeur qui serait un libérateur. Il adorait de loin la catastrophe.

En 1789, cette catastrophe était arrivée, et l'avait trouvé prêt. Cimourdain s'était jeté dans ce vaste renouvellement humain avec logique, c'est-à-dire, pour un esprit de sa trempe, inexorablement; la logique ne s'attendrit pas. […] Il avait vu se lever la Révolution; il n'était pas homme à avoir peur de cette géante; loin de là, cette croissance de tout l'avait vivifié; et quoique déjà presque vieux – il avait cinquante ans, - et un prêtre est plus vite vieux qu'un autre homme, il s'était mis à croître, lui aussi. […]

Cimourdain était de ces hommes qui ont en eux une voix, et qui l'écoutent. Ces hommes-là semblent distraits; point; ils sont attentifs.

Cimourdain savait tout et ignorait tout. Il savait tout de la science et ignorait tout de la vie. De là sa rigidité. Il avait les yeux bandés comme la Thémis d'Homère. Il avait la certitude aveugle de la flèche qui ne voit que le but et qui y va. En révolution rien de redoutable comme la ligne droite. Cimourdain allait devant lui, fatal.

Cimourdain croyait que, dans les genèses sociales, le point extrême est le terrain solide; erreur propre aux esprits qui remplacent la raison par la logique. Il dépassait la Convention; il dépassait la Commune; il était de l'Évêché.

La réunion, dite l'Évêché, parce qu'elle tenait ses séances dans une salle du vieux palais épiscopale, était plutôt une complication d'hommes qu'une réunion. […] Près de l'Évêché la Convention était froide et la Commune était tiède. L'Évêché était une de ces formations révolutionnaires pareilles aux formations volcaniques; l'Évêché contenait de tout, de l'ignorance, de la bêtise, de la probité, de l'héroïsme, de la colère et de la police […] Il y avait là des hommes dignes de Sparte et des hommes dignes du bagne. La plupart était forcenés et honnêtes […]

Cimourdain avait, dans ces temps et dans ces groupes tragiques, la puissance des inexorables. C'était un impeccable qui se croit infaillible et glaciale. Il était l'effrayant homme juste.

Pas de milieu pour un prêtre dans la révolution. Un prêtre ne pouvait se donner à la prodigieuse aventure flagrante que pour des motifs les plus bas ou les plus hauts; il fallait qu'il fût infâme ou qu'il fût sublime. Cimourdain était sublime; mais sublime dans l'isolement; sublime dans un entourage de précipices. Les hautes montagnes ont cette virginité sinistre. […]

Tel était Cimourdain.

Personne aujourd'hui ne sait son nom. L'histoire a de ces inconnus terribles.

3 commentaires:

Elias a dit…

On pourrait aussi citer le personnage de Sénécal dans l'Education sentimentale de Flaubert.

Anonyme a dit…

Oh non de dieu ! Je crois que je suis un curé rouge ! Je me prend pour Paul Nizan mais je crois que je joue plutôt les Savonarole et les Torquemada !

Ash67 a dit…

Si tout le livre est dans ce style là, je crois que je vais abandonner au bout de 10 pages. On a l'impression qu'il veut impressionner le lecteur à chaque phrase alors qu'en fait on doit relire chacune au moins deux fois ou faire comme si on souvenait de la phrase d'avant ce qui n'est très vite plus le cas. Après c'est un conseil, il en fera ce qu'il veut, mais quand c'est trop eh bien c'est trop.

Sinon oui oui, Sénécal dans l'Education sentimentale est assez géniale aussi :

"Les convictions de Sénécal étaient plus désintéressées. Chaque soir, quand sa besogne était finie, il
regagnait sa mansarde, et il cherchait dans les livres de quoi justifier ses rêves. Il avait annoté le Contrat
social. Il se bourrait de la Revue Indépendante . Il connaissait Mably, Morelly, Fourier, Saint−Simon, Comte,
Cabet, Louis Blanc, la lourde charretée des écrivains socialistes, ceux qui réclament pour l'humanité le niveau
des casernes, ceux qui voudraient la divertir dans un lupanar ou la plier sur un comptoir ; et, du mélange de
tout cela, il s'était fait un idéal de démocratie vertueuse, ayant le double aspect d'une métairie et d'une filature,
une sorte de Lacédémone américaine où l'individu n'existerait que pour servir la Société, plus omnipotente,
absolue, infaillible et divine que les Grands Lamas et les Nabuchodonosors. Il n'avait pas un doute sur
l'éventualité prochaine de cette conception, et tout ce qu'il jugeait lui être hostile, Sénécal s'acharnait dessus,
avec des raisonnements de géomètre et une bonne foi d'inquisiteur. Les titres nobiliaires, les croix, les
panaches, les livrées surtout, et même les réputations trop sonores le scandalisaient, −− ses études comme ses
souffrances avivant chaque jour sa haine essentielle de toute distinction ou supériorité quelconque."