mardi 25 octobre 2011

Désobéir par le rire


Ce texte est l'introduction d'un petit bouquin intitulé Désobéir par le rire, publié il y a quelques temps déjà par « le Passager Clandestin » (et que vous pouvez vous procurer ici).
A sa lecture, la première chose qui nous soit venue à l'esprit est : « Mais bon sang de bois (nous sommes très vintage), on aurait pu l'écrire, ce truc ! ». Aussi avons-nous choisi de vous la proposer dans sa quasi-intégralité.

L'humour pour faire tomber les tyrans ? Le rire pour désobéir ? Oui, dix fois oui ! Le rire est l'un des outils privilégiés de la lutte pour le bien commun, pour ceux qui n'ont parfois que la force de la vérité pour vaincre l'oppression... Il est une faculté innée des êtres humains et, à ce titre, peut toucher n'importe qui, spectateurs et personnes visées, pourvu qu'on sache le provoquer. Manifestation d'un comportement réflexe généralement associé à un sentiment de gaieté, certains éthologues considèrent le rire de nos ancêtres les singes, très semblable au nôtre, comme une expression détournée de la violence, une grimace plutôt qu'une agression physique. Chez l'homme, on peut donc imaginer l'humour, première cause de déclenchement du rire comme un outil de catharsis, qui permettrait l'évacuation de la colère, de la frustration ou de la souffrance, et donc des pulsions de violence que nous éprouvons dans certaines circonstances.

Dans l'action directe, au moment de la préparation comme pendant sa réalisation, le rire protège l'équilibre mental du militant : la conscience malheureuse des souffrances de ce monde et leur fréquentation au travers de l'action, doublées du sentiment de ne jamais en faire assez, menacent en permanence le militant, qui risquerait sans cela de succomber à des formes diverses de malaise, de mal-être persistant et destructeur, voire de renoncement. L'humour est un moyen de se défendre contre le désespoir, donc de garder confiance dans la vie comme dans la lutte. […]

Le rire désobéissant se démarque nettement du cynisme et ses atouts sont nombreux. Rire est source de plaisir. Au moins pour celui qui rit ! Et le plaisir rend fort. L'activiste non violent n'est pas un martyr qui ne vit que pour la souffrance : il est un être de chair et de sang qui se nourrit d'émotions, de plaisir partagés, d'amitié, d'amour, etc. Tout l'inverse du moine-soldat qui attendrait le sacrifice et se préparait à infliger autant de souffrance qu'il en a subi. L'activiste non-violent ne craint pas d'affirmer ses désirs, de revendiquer le droit pour tous au plaisir et la nécessité même de mettre dans l'action autre chose que le seul « sentiment du devoir », indéniable, mais bien fragile lorsqu'il s'agit d'affronter des adversaires parfois violents et déterminés.

Même si l'on est confronté à des logiques mortifères, celles du profit et de la domination, à l'origine de toutes sortes de souffrances, l'humour et le plaisir qui en découle peuvent – et doivent – être présents dans la résistance. Dans une société où depuis le plus jeune âge l'individu est conditionné à l'obéissance, au respect de règles (culturelles, sociales, légales) qu'il n'a pas choisies, on peut prendre un vrai plaisir dans la transgression des normes, dans l'irrévérence exprimée dans la contestation d'une autorité bien assise sur ses certitudes et des siècles de respect usurpé. […]

Le plaisir tiré d'une action qui fait rire ceux qui la mènent contribue encore à renforcer le sentiment de puissance que l'action directe alimente déjà. Son contraire, le sentiment d'impuissance, est au cœur même du rapport de domination que subissent les victimes actuelles du rouleau compresseur néolibéral. A l'inverse, le rire déclenché par les actions directes fait reculer le sentiment d'impuissance que la télévision, le discours dominant, le poids des multiples hiérarchies et des conformismes sociaux, culturels ou religieux, la peur de la répression et le « métro-boulot-dodo » ont pour fonction d'entretenir. L'humour protège de la peur que la transgression des conformismes, des lois, des règles coutumières tendent naturellement à faire naître; Cette peur, qui dissuade trop souvent l'entrée en action ou paralyse l'activiste dans le déroulement de celle-ci, s'évanouit rapidement chez celui ou celle qui parvient à faire rire, qui sait que le ridicule ne tue pas, mais qu'il ébranle, que l'autorité n'est pas sacrée et ne peut pas tout, qu'ensemble on est plus fort et que le pouvoir est un colosse aux pieds d'argile. Sur le plan social et psychologique, le rire sert précisément à indiquer à ses pairs l'absence de danger :se moquer de quelqu'un en riant, c'est d'abord envoyer autour de soi un signal suggérant que cet individu ne représente aucun danger. Les pairs en question peuvent rire à leur tour pour manifester que la peur les a quittés et qu'ils peuvent se détendre. Dans l'action, l'activiste qui rit dans l'adversité ou face à elle, joue un rôle essentiel auprès de ses camarades : son rire les rassure, leur donne confiance en eux-mêmes et les rend donc plus aptes à résister aux pressions diverses de l'adversaire, voire au sentiment de panique qui pourrait les gagner dans les moments de vive tension.

Le rire de l'activiste, en introduisant de la distance dans le conflit, réduit aussi, objectivement, le risque de violence de la part de l'adversaire ou des activistes eux-même. L'humour et la distance dans l'action permettent de rappeler qu'on est pas seul à vouloir que le monde change, et que l'on ne peut pas le changer seul, qu'aucune action action ni aucune lutte ne sont décisives en tant que telles. Ils permettent un certain recul vis-à-vis du problème qu'on affronte, et évitent qu'on se laisse dominer par des émotions que le spectacle de la souffrance ou le cynisme des maîtres du monde, la dureté des rapports sociaux ou la destruction de l'environnement ont pourtant toutes les raisons d'exacerber.

C'est Saul Alinsky qui l'explique, « Le sens de l'humour permet de garder une juste perspective des choses et de prendre la réalité pour ce qu'elle est, pincée de poussière qui brûle en l'espace d'une seconde ». Pour le théoricien et activiste américain, « l'organisateur qui cherche avec un esprit libre et ouvert,qui ne connaît pas la certitude et hait le dogme, trouve dans le rire, non seulement une façon de garder l'esprit sain, mais également une clé qui lui permet de comprendre la vie ». Il échappe ainsi au piège du ressentiment, qui ronge de l'intérieur et se retourne parfois contre les amis; il se préserve de la colère, mauvaise conseillère comme on sait, qui risque de conduire au regrettable, sinon à l'irréparable; il se garde de la haine, qui nourrit celle de l'adversaire et retarde le moment où il acceptera de faire des concessions, tout en aggravant la confrontation.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

https://www.youtube.com/watch?v=wsddvy3dptI

Bon, mais…


https://www.youtube.com/watch?v=TaKvjpK9qRI


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Anna B a dit…

A chaque fois que je poste une de vos publications sur mon wall, toute ma communauté facebook crie au rouge-brun... Cela devient vraiment gavant de mentionner en exergue de chaque post "Ceci n'est pas un blog d'anars de droite". QUAND serez-vous un peu originaux et trouverez-vous votre propre courant politique, au lieu de piller éhontément les ribauds de la droite ? Une sympathisante dont les amis malheureusement végètent au PS et traquent le rouge-brun qui sommeille en chacun de vous.

Anonyme a dit…

Tout à fait, Thierry. Et je dirais même plus : certains camarades se sentent PERSONNELLEMENT visés par la caricature du "curé rouge". A tort, je crois.
Car, dans la vie réelle, le "curé rouge" n'existe pas vraiment. Ce curé n'est que fiction, marionnette ou guignol en langage télévisuel.
Pour le plaisir d'en rire, le "curé rouge" agrège les travers, observés au sein du parti, travers qui furent et sont encore aussi les notres.
Quand on se moque du "curé rouge", je crois qu'on se moque beaucoup et surtout de nous mêmes.
Et ça, c'est vachement sain, je trouve ...